En novembre 2019 Anas Kournif, étudiant lyonnais, s’immolait devant un bâtiment du CROUS parce qu’il était « à bout ». En janvier 2021, Jean Castex, Premier Ministre de l'époque avait notamment appelé un étudiant youtubeur après que ce dernier ait publié une vidéo choc dans laquelle il décrivait la détressse des étudiants en France en temps de Covid-19. Souhaitant agir, le Premier Ministre s'était dit « ému». Pourtant, après deux confinements, la situation psychologique et financière des étudiants ne semble pas s’être améliorée. Alors qu’ils représentent la force vive de demain, les étudiants doivent, pour beaucoup, mener un combat quotidien pour survivre… Retour sur une situation explosive que les pouvoirs publics tentent de contenir…
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Un fléau ancien accentué par le Covid-19
Si la précarité des étudiants n’est pas un sujet nouveau, la situation s’est très fortement dégradée pendant et depuis la pandémie de Covid-19. Alors que le pays était à l’arrêt, les étudiants ont subi de plein fouet les effets du confinement. Souvent seuls dans des appartements vétustes, le manque de contact et d’espace a fait sombrer nombre d’entre eux dans une forte anxiété voire dépression. 62% des 18-24 ans déclarent déjà avoir eu des pensées suicidaires entre septembre 2021 et juillet 2022. Au-delà de cette détresse psychologique indéniable, la précarité financière est également au cœur des enjeux. Les postes de dépenses des étudiants sont nombreux et les bourses ou les aides ne suffisent pas toujours. Pour celles et ceux qui avaient recours à des emplois étudiants pour subvenir à leurs besoins, la pandémie fut une double peine. Aussi, certains, ne sachant plus comment s’en sortir, lancent des appels à l’aide sur les réseaux sociaux. C’est le cas de Maëlle, étudiante de 20 ans à Sciences Po, dont les parents habitent à Mayotte et ne peuvent l’aider financièrement. Elle perçoit alors 100 euros de bourse par mois et avoue sur Tiktok : « Je n’en peux plus ». Sa vidéo, un véritable appel à l’aide visionnée plus de 9,3 millions de fois, a permis de récolter plus de 10 000 euros, somme qu’elle a en partie reversée à des associations. Maëlle n’est malheureusement pas un cas isolé. A la rentrée septembre 2022, le coût de la vie avait déjà augmenté de 6,47 % par rapport à celui de 2021. Une situation inextricable dont la conséquence est immédiate : 58 % des étudiants sont prêts à renoncer à des soins médicaux en raison du coût qu’ils représentent. 97 % d’entre eux se restreignent concernant la qualité et la quantité de leur alimentation. Nous sommes en France. Au 21e siècle.
L’avenir de la recherche du pays en péril
La France consacre aujourd’hui 49,5 milliards d’euros soit 2,2 % de son PIB au monde de la recherche. Et, le gouvernement affiche fièrement les nombreux Prix Nobel décernés à des chercheurs français. Pourtant, derrière cette vitrine, la situation financière des doctorants est préoccupante. En 10 ans, la France a perdu 10 000 candidats au doctorat et un quart des inscrits ne peut aujourd’hui subvenir à ses besoins. Un désamour des candidats qui s’explique avant tout par les problématiques liées aux financements des thèses et par « la suppression constante de postes de chercheurs permanents [qui] rend l'insertion extrêmement compétitive et fragilise la volonté de rester dans le service public après la thèse » témoigne un doctorant dans le rapport de la Fédération des associations générales étudiantes. Celle-ci préconise notamment une majoration du salaire minimum de tous les doctorants qui sont souvent rémunérés en dessous du SMIC, la prise en charge de l’ensemble des frais de recherche par le laboratoire et/ou l’école doctorale ou encore la réduction de la précarité des doctorants non-financés en leur ouvrant l’accès aux aides sociales et au dossier social étudiant du CROUS. Aujourd'hui, si le gouvernement n'investit pas dans l'enseignement supérieur et recherche il sera impossible de prétendre à être une nation forte notamment au niveau numérique, qui suppose des connaissances pointues, comme le souligne Gilles Babinet. Or, le budget de l'enseignement supérieur par étudiant et par an - après que l'inflation ait été prise en compte - a baissé de 22 % entre le budget 2012 et 2023.
Initiatives solidaires
Le gouvernement a annoncé que les repas à 1 euro pour les élèves boursiers, mesure phare de l’année 2021-2022 pour lutter contre la précarité étudiante, était maintenue pour l’année scolaire en cours. Mais, selon l’association COP1, cette initiative ne résout pas tous les problèmes notamment alimentaires auxquels font face les étudiants. Pour tenter de pallier les manques gouvernementaux, les étudiants et les universités s’organisent de plus en plus au niveau local. Ainsi, l’association COP1 réunit 600 bénévoles chargés de distribuer plus de 1300 repas par semaine à Paris, Angers et Marseille. « Même si leur contenu peut varier, nos paniers sont constitués en grande majorité de fruits et de légumes, de conserves, de denrées non périssables comme du riz ou des pâtes, de pâtisseries et de pain… Nous pouvons également proposer des plats préparés, yaourts ou encore gâteaux, pour des paniers pesant entre 8 à 10 kg chacun ! » précisent-ils. L’Université de Franche-Comté a développé plusieurs initiatives : un guide des aides pour étudiants est mis à disposition et une ligne d’écoute est tenue par les élèves du Master 2 psychologie a été ouverte par l’établissement. A Mont de Marsan, l'infirmière et l’assistante sociale de l’IUT ont ouvert un espace santé qui assure, depuis peu, une permanence une fois par mois pour accompagner les étudiants aussi bien au niveau médical qu’au niveau social. L’université de Bourgogne a elle inauguré, en septembre 2022 un “centre solidarité”. « De cette façon, les étudiants peuvent savoir qu'on a une permanence ouverte chaque jour de la semaine qui peut les accueillir, comprendre leurs difficultés et les orienter selon leurs besoins », témoigne Vanessa Vaizant, chargée de la mission Solidarité à l'université de Bourgogne dans les colonnes de France 3 Bourgogne Franche-Comté. L’objectif affiché : permettre aux étudiants de mener leur scolarité dans de meilleures conditions. Mais si des progrès sont à souligner - l'année dernière 34 étudiants ont pu être relogés alors qu’ils habitaient dans des logements d’une extrême vétusté - les défis à relever s’intensifient : cette année, en deux mois seulement ils sont déjà plus de 70.
Le 22 novembre dernier, le ministre des Solidarités Jean-Christophe Combe et Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur ont annoncé débloquer « en urgence » 10 millions d'euros pour l'aide alimentaire aux étudiants. « Nous poursuivons notre travail pour apporter des réponses structurelles, dans le cadre de la concertation sur la vie étudiante et la réforme des bourses, en lien avec le Pacte des solidarités porté par le ministre Jean-Christophe Combe, pour assurer à tous nos étudiants les conditions de leur réussite » note la ministre de l’Enseignement supérieur. L'Emlyon business school quant à elle, a créé une fondation, placée sous l'égide de la Fondation de France contribuant à l'égalité des chances des étudiants grâce aux dons de particuliers. Et, parfois, de petits gestes peuvent avoir de grandes répercussions...
1. Nathan Chaize, “Trois ans après son immolation devant le Crous, Anas Kournif témoigne”, Lyon Capitale, 21/11/2022, https://www.lyoncapitale.fr/actualite/trois-ans-apres-son-immolation-devant-le-crous-anas-kournif-temoigne
2. Mal-être étudiant : « Emu » par sa vidéo, Jean Castex appelle le youtubeur Gaspard G pour « agir », 20 minutes, 28/01/2021, https://www.20minutes.fr/societe/2963979-20210128-mal-etre-etudiant-emu-video-jean-castex-appelle-youtubeur-gaspard-g-agir
3. Maelane Loaec, “Covid-19 : 62% des 18-24 ans ont eu des pensées suicidaires depuis septembre 2021, selon une étude”, TF1 Info, 7/07/2022, https://www.tf1info.fr/sante/covid-19-coronavirus-omicron-62-des-18-24-ans-ont-deja-eu-des-pensees-suicidaires-depuis-septembre-2021-selon-une-etude-2225595.html
4. Flavie Camilotto, “Précarité étudiante : « 56% des étudiants avouent ne pas manger à leur faim »”, La Tribune, 05/10/2022, https://www.latribune.fr/economie/france/precarite-etudiante-56-des-etudiants-avouent-ne-pas-manger-a-leur-faim-934708.html
5. “Précarités étudiantes : deux ans après rien n’a changé”, Linkee, https://linkee.co/synthese-de-letude-precarites-etudiantes-deux-ans-apres-rien-na-change/
6. Ibid
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