De cabinet ministériel en collectivité locale en passant par des cabinets de conseil en communication et en ingénierie territoriale, le parcours d’Emmanuelle Ledoux est marqué par une constante : un intérêt pour les enjeux de transformation environnementale, à la jonction avec les enjeux économiques. Elle est aujourd’hui directrice générale de l’Institut National de l’Économie Circulaire (INEC), où elle œuvre à promouvoir la transition vers une économie circulaire.
Du linéaire au circulaire
« Aujourd’hui l’économie est majoritairement linéaire, jetable : on extrait, on produit, on consomme, on jette. Notre ambition à l’INEC, c’est d’accompagner la société et l’économie vers plus de circularité. » Comment ? En créant le cadre le plus favorable possible à cette transformation : « cela passe par du plaidoyer, du travail sur les textes existants pour essayer de lever des freins réglementaires, accompagner le débat public… Mon rôle est notamment d’identifier et de comprendre les éléments de blocage et de réfléchir à des méthodes d'amélioration pour passer d'un modèle linéaire à un modèle circulaire. » Ces réflexions ont donné naissance en 2021 au rapport « Pivoter vers une industrie circulaire » : des travaux engagés au moment du confinement, alors que les enjeux de réindustrialisation ont (re)fait surface soulignant la fragilité de nos chaînes d'approvisionnement. Un ouvrage à destination des entreprises « qui émet des propositions concrètes : six différents modèles de circularité, pas seulement au niveau de l'usine ou de la production car on sait de mieux en mieux le faire, mais plutôt pour l’avant et l’après pour mettre en place des systèmes de production plus sobres en ressources. » Des sujets qui sont toujours en tête des préoccupations d’Emmanuelle Ledoux, au même titre que le lien entre décarbonation et maîtrise des ressources, qui a aussi fait l’objet d’un rapport l’année suivante. « Nous sommes partis des trajectoires de décarbonation inscrites dans les textes et des engagements pris par la France en la matière, et avons évalué pour chacun les ressources nécessaires pour les atteindre. Par exemple pour l’électrification : quels sont les besoins en lithium, en cobalt, en cuivre, etc. Ce travail a aussi permis d’identifier les points de fragilités et de vigilances de notre économie, et de rappeler l'importance d’une vision circulaire des ressources et d’apprendre à mieux les maîtriser, le plus vite possible. »
A toutes les échelles
Pour promouvoir la circularité dans les territoires, l’INEC s’engage aussi auprès des collectivités. « Quand les collectivités parlent d’économie circulaire, elles pensent immédiatement à la cantine : circuit courts, lutte contre le gaspillage alimentaire… » Un sujet facilement mobilisateur et essentiel, mais qui ne résume pas à lui seul les enjeux d’économie circulaire. « Nous sommes tous concernés par ce que mangent nos enfants, le sujet du gaspillage alimentaire choque, alors que beaucoup aujourd’hui ne mangent toujours pas à leur faim, et on comprend bien que les enjeux économiques ne sont pas les mêmes si on achète des légumes à 5 km ou à 5 000 km… Des collectivités ont en revanche plus de mal à convaincre sur des sujets comme le bâtiment. Il y a donc besoin de créer un cadre, réglementaire, législatif, économique, qui leur permette d’engager des transformations plus facilement. C’est le cœur de notre travail avec elles. » Parce que s’engager pour les territoires passe aussi par l’échelle européenne, l’INEC est membre d'un projet LIFE, un instrument financier de la Commission européenne dédié au soutien de projets innovants dans les domaines de l’environnement et du climat. Dans le cadre de Waste2build, mené par la Métropole de Toulouse pour optimiser les ressources et valoriser les déchets du bâtiment et des travaux publics à l’échelle locale et régionale, l’institut travaille notamment sur les enjeux de réplicabilité, pour faire connaître ce projet dans d'autres métropoles, aussi bien en France qu'en Europe. Le think tank est aussi membre de la Plateforme des acteurs européens de l'économie circulaire, initiative conjointe de la Commission européenne et du Comité économique et social européen qui rassemble les parties prenantes actives du domaine. « C’est une dimension que nous cherchons justement à renforcer pour approfondir nos liens avec les réseaux européens qui nous ressemblent, pour réfléchir aussi à la manière de nous améliorer en matière de lobbying et de plaidoyer, et dans la mise en œuvre opérationnelle du cadre réglementaire sur les territoires. »
Des succès et des attentes
En cinq ans à la tête de l’INEC, Emmanuelle Ledoux mesure l’impact concret des actions engagées. L’Institut a notamment œuvré pour mobiliser l’achat public au service de l’économie circulaire. « Nous avons accompagné les collectivités dans l’application de l’article 58 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), qui impose aux acheteurs publics d’acquérir certains produits issus du réemploi, de la réutilisation et/ou incluant des matières recyclées. Il s’agissait à la fois de les aider dans la mise en œuvre concrète de cette disposition, mais aussi de donner plus de visibilité à ces démarches. » Représentant jusqu’à 10% du PIB, la commande publique s’impose en effet comme l’un des principaux leviers de la transition écologique… Plus récemment, Emmanuelle Ledoux peut aussi se féliciter du vote au Parlement en novembre dernier de la TVA circulaire à 5,5 % sur la réparation, sur la base d’un rapport qu’elle a rendu au gouvernement l'année dernière… avant son rejet par le Sénat. « Mais nous restons mobilisés pour qu’elle passe l'année prochaine. » Applicable aux vêtements, chaussures, électroménagers, vélos, cette mesure aura vocation à soutenir et faciliter le développement des métiers de la réparation. « Si on veut encourager la réparation, il va falloir des réparateurs. Or il y en a de moins en moins. On comptait autour de 45 000 cordonniers dans les années 1950, ils ne sont plus que 3500 aujourd’hui, souvent en fin de carrière et avec un modèle économique difficile. Si on veut développer le maillage des réparateurs sur les territoires, on ne peut plus se contenter du bonus réparation qui accompagne les consommateurs en agissant sur l’effet prix : il faut renforcer le modèle économique de la réparation et en faire des métiers attractifs. C’est tout l’objectif de cette TVA circulaire. » S’il est en revanche une mesure qui se fait attendre, c’est la publication du décret d’application du remboursement du matériel paramédical d'occasion et d'aide à l'autonomie prévu dans la loi de financement de la Sécurité sociale en 2020. « Beaucoup d'organisations et d'entreprises se sont lancées sur ce sujet et sont aujourd’hui en difficulté. L’enjeu est d’optimiser, de valoriser ces ressources pour permettre à ce secteur qui est essentiel à tellement de points de vue d’entrer dans la circularité, et aux personnes qui en ont besoin d’en bénéficier. Cela fait 5 ans que nous l’attendons, nous espérons qu’il sera enfin publié en 2025, même peut-être avant… »
Un chemin encore long
Cinq ans, c’est aussi l’âge de la loi AGEC. L’âge d’un premier bilan. « Le grand mérite de cette loi a été de convaincre que l'économie circulaire et la maîtrise des ressources sont nécessaires, que nous vivons dans le cadre de limites planétaires indépassables et qu’un nouveau modèle est indispensable » Et maintenant ? « Maintenant, il faut passer à l’étape d’après : l’action. » Pour accélérer, il faudra donc passer à l’échelle, mettre l’accent sur ce qui fait un peu défaut dans cette loi : les transitions et transformations industrielles, l’organisation territoriale… Le chemin vers la circularité est encore long… « Il y a un véritable sujet de modèle économique. Il faut faire comprendre la circularité n’a pas de rentabilité à court terme, mais qu’à long terme nous n’aurons pas le choix pour répondre à des pénuries de ressources. Nous sommes à un point de bascule. Le modèle économique qui prédomine aujourd’hui est le modèle rentable, jetable, qui permet de générer des revenus. Mais nous n’avons pas d’autre choix que de transformer ce modèle dès maintenant, car dans 5 ou 10 ans, nous n’aurons plus suffisamment de ressources pour l’entretenir. » Pour permettre à de vrais modèles de circularité d'émerger, l’enjeu est aussi celui de sa définition : « Les stocks qui depuis la loi AGEC ne peuvent plus être détruits sont parfois un peu rapidement qualifiés « d'économie circulaire », de « seconde main ». En fait, c'est juste de la surproduction structurelle ! A l’INEC, nous essayons de travailler sur un huitième pilier de l’économie circulaire, pour compléter les sept identifiés par l’ADEME : le don. » Il aurait donc vocation à prendre place aux côtés du recyclage, de l’éco-conception, de la consommation responsable, de l’allongement de la durée d’utilisation, de l’économie de la fonctionnalité, de l’écologie industrielle et territoriale, de l’extraction, exploitation et achat durable. « Nous essayons de mieux comprendre les flux, de comprendre où vont les stocks de produits neufs, pour qu'ils soient donnés plutôt que de faire concurrence avec l'économie circulaire. Un produit neuf déstocké sera toujours moins cher qu'un produit réparé et reconditionné, c’est tout le problème. L'autre enjeu sera de créer un cadre qui favorise le développement massif de la seconde main. Aujourd'hui, une entreprise qui donne ne sait pas toujours ce qu’elle a le droit de faire. Au niveau économique, comment sont intégrés – ou pas – les produits donnés à son chiffre d’affaires ? Sur le plan assuranciel, qui est responsable en cas de problème avec ce qu'elle donne ? Qui paye et gère les stocks donnés, si les petites associations n’ont pas les moyens de gérer le foncier ou le coût logistique. Nous sommes donc en train de lancer une grande étude sur ce sujet, pour essayer de lancer une réflexion un peu globale qui n’existe pas aujourd’hui. »
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