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Espace : des débris encombrants

Dernière mise à jour : 3 juil.

A des centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes, des milliers d’invisibles déchets font du ciel une véritable poubelle. Plus de 6000 fusées et satellites lancés depuis 1957 ont généré près de 10 000 tonnes de débris qui menacent les installations et activités spatiales, et à terme, notre accès même à l’espace. Enjeu écologique et économique, le désencombrement de l’espace est aujourd’hui un terrain d’innovations et d’expérimentations fertile, qui ne doit toutefois pas faire oublier que le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. 


Par Amélie Rives 




Une décharge à ciel ouvert  


Selon l’Agence spatiale européenne (ESA), 36 500 objets de plus de 10 cm, un million entre 1 et 10 cm, et 330 millions entre 1 mm et 1 cm encombreraient l’espace¹ : étages de fusées usés ou de satellites abandonnés, vis et boulons, morceaux de peinture… Leur nombre augmente avec la multiplication des satellites résultant de la diversification des usages de l’espace, et du développement de satellites sans propulseurs, petits, peu coûteux et faciles à envoyer. Les projets de (méga) constellations se multiplient, portés par des Etats mais surtout des opérateurs privés : entre juin 2022 et juillet 2023, Space X était en première position des lancements orbitaux, devant les agences chinoises et russes.² En 4 ans, l’entreprise aurait mis en orbite près de 50% de ce tout qui a été lancé depuis 1957 et son concurrent Amazon entend placer 3200 satellites en orbite d’ici 2029. Les engins spatiaux prolifèrent, les débris aussi, et avec eux le risque de collisions générant des fragments, amenant de nouvelles collisions. Une tendance qui, au regard de la vitesse de circulation de ces objets (entre 7 et 8 km/s), constitue une véritable menace pour les activités spatiales : un débris de 10 cm serait capable de pulvériser une sonde ou d’ébranler la station spatiale internationale. A mesure que les opérations en orbite deviennent plus difficiles et coûteuses, du fait des désormais indispensables manœuvres d’évitement notamment, cet encombrement menace de freiner le lancement de nouveaux satellites et de perturber les services terrestres qui en dépendent. Sans compter la pollution lumineuse que génèrent ces débris et qui gêne le travail des astronomes et des télescopes, ou encore leur impact environnemental, même si aucune méthodologie éprouvée ne permet encore de l’évaluer précisément.  


Pour une utilisation durable de l’espace 


L’encombrement spatial reste pourtant un trou noir juridique. Aucune règle internationale ni aucune autorité n’oblige à éviter ou réduire ces débris, dans ce no man’s land qui appartient à tous mais dont personne ne se sent responsable. Seules existent des lignes directrices non contraignantes, comme celles de l’Inter-Agency Space Debris Coordination Committee, du Comité pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique de l’ONU, ou la Charte Zéro Débris du ESA. La prise de conscience des risques et de l’urgence d’agir progresse pourtant. En 2013, la Résolution 68/74 de l'Assemblée générale de l’ONU évoquait « la nécessité d'assurer une utilisation durable de l'espace, en particulier en limitant les débris spatiaux ». En 2021, le Forum de Paris lançait l’initiative « Net Zero Space », pour inciter à « une utilisation durable de l'espace extra-atmosphérique au profit de l'ensemble de l'humanité d'ici 2030. » En mai 2023, le Conseil de l’Union européenne adoptait, lui, des conclusions sur l'utilisation équitable et durable de l'espace. Pour faire bouger les choses, certains imaginent un traité sur le même principe que celui de la taxe carbone. Pierre Omaly, expert en débris spatiaux au Centre national d’études spatiales (CNES) appelle, lui, à « interdire les satellites sans propulsion, donc sans moyen de manœuvrer, et obliger strictement les opérateurs à désorbiter ». En attendant, il faudra compter sur le volontarisme des Etats. Très peu disposent de législations responsabilisant les opérateurs et les obligeant à produire des satellites ne générant plus, ou moins, de débris. C’est le cas de la France avec la loi sur les opérations spatiales de 2008. « Cette loi ne suffira malheureusement pas car elle ne s’applique pas à tous les débris produits depuis le début de la conquête spatiale, mais elle doit servir d’exemple pour d’autres Etats, ou même à une règlementation internationale. » suggère Pierre Omaly. En vertu d’une loi similaire, les Etats-Unis sont les premiers à avoir imposé une amende à un opérateur n’ayant pas désorbité correctement un satellite. Une sanction trop faible pour être dissuasive, mais qui pourrait créer un précédent et pousser les opérateurs à être plus attentifs à leur impact si les amendes encourues deviennent plus élevées que le coût d’un désorbitage. 

 

Un marché en construction 


L’absence de cadre réglementaire freine l’émergence d’un marché et d’une économie du désencombrement. « Des entreprises se pré-positionnent pour capter les marchés quand la législation ou la densification de l’espace le rendront obligatoire. Elles développent et démontrent des briques technologiques prometteuses, mais elles peinent à capter des financements car il n’existe pas de modèle économique dédié. Avec des coûts encore très élevés, les Etats restent frileux. » regrette Pierre Omaly. Ceux qui investissent explorent différentes solutions de « récupération active de débris ». En 2023, la NASA choisissait TransAstra pour déployer une sorte de sac poubelle qui capturera et recyclera les débris depuis l’espace. L’agence spatiale japonaise teste, via Astroscale, un satellite équipé d’aimants assez puissants pour s’accrocher à un débris. L’ESA lançait, dès 2018, la mission RemoveDebris pour expérimenter plusieurs techniques : harpon, filet, voile de traînée... L’agence soutient également ClearSpace et son satellite autonome muni d’un grappin robotisé, qui s’est aussi alliée à l’américain Orbit Fav pour concevoir un dispositif de ravitaillement en carburant des engins spatiaux. « Les technologies utilisées pour réparer un engin ou capturer des débris étant très semblables, on commence en effet à voir se dessiner un modèle dans lequel la mission de retrait viendrait se greffer à des opérations de maintenance. C’est peut-être comme cela que le marché arrivera à maturité. » analyse Pierre Omaly. Infinite Orbits vient ainsi de lever 12 millions d’euros pour développer Endurance, un satellite de prolongation de vie des actifs spatiaux qui devrait être lancé en 2026. Toutefois, les récentes difficultés de ClearSpace, qui a dû redimensionner son équipe, réduire le périmètre de sa mission et la confier à l’allemand OHB « illustre bien la problématique technique et financière du désencombrement : les Etats ne sont pas encore prêts à y consacrer des sommes trop importantes alors même que la technologie est complexe et nécessite de vrais investissements » commente le chercheur et de poursuivre : « Pourtant l’Europe est en bonne position. La préservation de l’espace est une préoccupation européenne de longue date que les entreprises qui proposent des technologies pour un espace durable ont bien comprise. En témoigne la récente installation d’Atroscale en France. » 

Insuffler le changement 


Sans cadre législatif et sans financement public, le désencombrement de l’espace semble dans l’impasse. Pour en sortir, le CNES a lancé Tech4SpaceCare. Objectif : développer avec des industriels français des technologies de construction de satellites plus respectueuses de l’espace, non-propriétaires, accessibles au plus grand nombre, pour que les opérateurs français soumis à la loi de 2008 conservent leur compétitivité sur la scène internationale. « Quand nous aurons prouvé l’efficacité de ce modèle et de ces technologies, nous les pousserons dans les organismes internationaux pour inciter les Etats et la communauté internationale à légiférer aussi. La complexité ou le manque de maturité technologique ne pourra plus être un argument. Seule manquera la volonté politique. » annonce Pierre Omaly. Un combat qu’il mène aussi dans les instances de normalisation, où la France est très active. Il travaille aujourd’hui à faire renforcer les normes ISO 24113 surla mitigation des débris spatiaux et ISO 23312 sur les débris spécifiques des satellites. Un travail de consensus et de compromis « trop long pour répondre à l’augmentation exponentielle des engins spatiaux, avec des discussions qui sortent du débat technique pour rentrer dans des enjeux politiques et de marché de court terme. Si on ne limite pas les débris, il pourrait ne plus y avoir de marché du tout ! » alerte le chercheurLa meilleure solution dans l’absolu pour les réduire reste encore de limiter le nombre de lancements. Une approche difficilement conciliable avec les impératifs d’une course scientifique et commerciale à l’espace. « C’est comme le réchauffement climatique : il faut traiter ce problème avant qu’il ne soit hors de contrôle et que la prolifération de débris trop petits pour être récupérés ne perturbe irréversiblement les activités spatiales. Mais il faudra d’abord lutter contre l’inertie et l’aversion au changement et faire comprendre que nous sommes tous concernés. » conclut Pierre Omaly. 



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