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L’or bleu : les espaces maritimes à un tournant

« Le temps viendra où (…) les mers rejoindront les régions qu’elles divisent » écrivait le poète britannique Alexander Pope à l’aube du 18e siècle. A l’ère d’échanges maritimes sans précédents, les eaux qui distinguent nos continents semblent plus que jamais un patrimoine commun. Réenchanter la mer devient nécessaire à sa protection. Un besoin vital pour l’ensemble du vivant qui peuple la planète bleue, alors qu’une réévaluation des moyens est en cours et pourrait marquer, plus que jamais, un tournant vers un monde plus respectueux des océans.


Par Alexis Papin



Décloisonner le vivant


Malgré l’apparente distinction entre terre et mer, les écosystèmes qui font la vie sous-marine sont essentiels à l’ensemble de la planète et ses habitants. À l’origine de la moitié de la production de nos besoins en oxygène, les océans remplissent un rôle essentiel de protection contre les effets du changement climatique. Selon l’ONU, ils sont responsables de l’absorption de 25% des émissions de dioxyde de carbone tout en capturant 90% de la chaleur générée.¹ S’agissant d’une barrière face à l’urgence climatique, les aires marines n’en sont pas moins impactées par les conséquences des activités humaines polluantes qui menacent des écosystèmes entiers. L’acidification et le réchauffement de l’eau, la surpêche, la destruction des mangroves et des récifs coralliens troublent l’ensemble de la vie sous-marine et obligent à changer de prisme. François Sarano, océanologue, l’annonçait lors de l’université de la Terre à l’UNESCO : « Il faut opérer un changement total de paradigme. Les chiffres ne disent rien de la réalité de la vie qui réside dans nos océans, il est nécessaire d’aller à sa rencontre, apprendre à l’aimer et la comprendre. »


Engagement croissant pour la vie marine


Face à la nécessité d’agir, le champ des possibles s’élargit avec l’accroissement de la connaissance des océans. Dans les Etats dotés d’espaces maritimes, les tissus associatifs s’engagent dans des politiques de plus en plus ambitieuses pour rehausser ce nécessaire virage vers une reconsidération du vivant. En Indonésie, les ONG de terrain procèdent à un vaste travail de replantation dans les eaux du Triangle de Corail, qui représentent 30% de la totalité des récifs mondiaux. Même engagement en Equateur depuis 2020, où le fragile écosystème de l’archipel des Galapagos nécessite l’action de gardes naturels, de bénévoles et de l’association étasunienne Galapagos Conservancy. Une action dont les bienfaits se font ressentir : les gestionnaires du parc naturel notent d’ores et déjà le retour de certaines espèces. Cette volonté de contribuer à la revivification de la vie marine s’affirme à la jonction même entre terre et mer. Avec WWF, le Mozambique s’est engagé l’an dernier à replanter 185 000 hectares de mangroves, une végétation littorale riche, servant de lieu de vie à de nombreuses espèces menacées.


L’innovation vers l’« économie bleue »


L’innovation joue aussi son rôle. En France, la filiale du transport maritime à voile s’avère particulièrement proactive. Windcoop, TransOceanic Wind Transport et VELA ont déjà pour objectif de révolutionner les porte-conteneurs pour limiter la pollution des océans alors que le secteur du fret maritime pourrait atteindre 17% des émissions mondiales de CO2 à horizon 2050.² Soutenu par l’UNESCO et l’Organisation Météorologique Mondiale, Blue Observer est une plateforme scientifique dont le but est de stimuler l’innovation autour de la protection des océans tout en sensibilisant à de nouveaux usages, en organisant des expéditions scientifiques d’envergure par voilier. Cette année, la mission portant sur l’océanographie physique, la microbiologie, l’étude des polluants et l'observation de faune s’effectuera dans les eaux de l’océan Indien.


Solidarité internationale


« Sans multilatérialisme, personne ne pourra résoudre la problématique des océans » estime Ngozi Okonjo-Iweala, Directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce.³ Une nécessité bien intégrée par les acteurs qui se coalisent pour contribuer à l’établissement de nouveaux cycles vertueux dans des espaces naturels où les espèces ne connaissent pas de frontières. Formée en juin dernier à l’initiative du Chili, la « coalition pour la protection des océans » réunit neufs Etats riverains du Pacifique sur le continent américain. Cette entente devrait aboutir à la création de nouvelles zones maritimes protégées au Canada et au Chili. De telles aires de préservation de la biodiversité tendent à s’étendre, alors qu’elles constituent aujourd’hui plus de 6% de la surface des océans, soit dix fois plus qu’en 2000. À l’occasion de la conférence mondiale Our Ocean tenue en mars dernier au Panama, près de 19 milliards de dollars ont été promis pour accélérer cette protection. Pour sa part l’Union européenne s’est engagée à dédier 816 millions d’euros de son budget à la protection des océans.


Historique terrain d’entente


C’est le 5 mars dernier que les Etats-membres de l’ONU se sont concertés pour donner naissance au tant attendu accord sur la haute mer, près de deux décennies après le début des négociations. Inespéré pour certains, le traité à venir donnera une matière concrète à l’accord de Kunming adopté à la COP15 Biodiversité de décembre dernier, visant 30% d’espaces naturels préservés d’ici 2030. 64% de la surface totale des océans changeront désormais de statut et devront faire l’objet d’une protection d’une nouvelle ampleur. « Le navire a atteint le rivage » concluait Rena Lee, présidente de la conférence le 5 mars, tandis que les Etats semblent se tourner collectivement vers une gestion commune des océans. Désormais sont attendues des mesures conséquentes : création d’aires protégées en haute mer, obligation d’évaluation de l’impact environnemental des activités dans ces espaces par chaque Etat ou encore partage des découvertes dans les océans.

Le débat ouvert, ce sont désormais les négociations sur les fonds marins qui concentrent les attentions. La 28e session de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) s’est ouverte en mars avec une opposition forte à l’exploitation des ressources minières. France, Espagne, Allemagne, Chili ou encore Nouvelle-Zélande comptent parmi les fervents opposants à ces pratiques aux effets irréversibles. « Dans les années 1980, l’Antarctique échappait à l’exploitation minière grâce à un moratoire. Faire de même pour les grands fonds marins, c’est rendre service à l’Humanité. » conclut Sabine Roux de Bézieux, Présidente de la Fondation de la Mer.⁴



¹ « L’océan, notre meilleur allié contre les changements climatiques », Nations Unies, 2022.

² DAMGÉ Mathilde. « COP27 : le fret maritime est l’un des plus grands émetteurs de CO2, et il tarde à changer de cap », Le Monde, 11 novembre 2022.

³ « L'économie bleue durable est essentielle pour les petits pays et les populations côtières », Nations Unies, 28 juin 2022.

⁴ « L’avenir des grands fonds marins discuté », Fondation de la mer, 16 mars 2023.

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