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Le sport derrière les barreaux : une fenêtre de liberté ?

Alors que l’enfermement impacte considérablement l’âme et le corps, la pratique du sport en détention peut recouvrir de nombreuses vertus pour le détenu comme pour l’administration pénitentiaire. Il favorise le bon déroulement de la peine et contribue à « supporter l’insupportable », selon l’expression du philosophe François Courtine. La façon de percevoir la pratique du sport en détention a beaucoup évolué. Aujourd’hui,   il est perçu, selon le ministère de la Justice, comme un facteur d’équilibre qui « contribue à la prévention de la récidive et permet aux personnes détenues de s’intégrer dans un groupe et de respecter des règles ». Le changement de logique est alors enclenché, bien que des limites se dessinent.


Par Hugo CHAMPION



© Shutterstock



Le sport en détention : un outil de pacification et de réinspection


Longtemps perçue comme un moyen de pacifier l’espace de détention, la pratique sportive est aujourd’hui considérée comme un outil de lutte contre la récidive car elle favorise la réinsertion sociale du détenu. Occuper les détenus, améliorer leur santé et préparer leur réinsertion sont devenus les principaux objectifs assignés au sport en prison. La pratique du sport en milieu carcéral, dont les plus accessibles sont « le football, la musculation et les sports de raquette », d’après Joël Jacob, ancien éducateur de sport au sein de l’administration pénitentiaire (AP), favorise le bien-être et revêt une vertu éducative. La pratique sportive est un moyen « d’apprentissage du contrôle et de l’auto-contrôle des pulsions et un espace toléré de débridement des émotions », écrivait le sociologue Norbert Elias. Par l’activité physique, le détenu va pouvoir évacuer la pression et les angoisses, secréter des hormones. Il va également assimiler les valeurs du sport, intégrer des règles et des normes. Si le sport en prison relève de l’occupationnel, il propose également une fenêtre de liberté symbolique dans la vie quotidienne des détenus.

Mais le sport sert aussi à pacifier les tensions inhérentes à la prison, notamment dans les centres de détention (CD) où les horaires sont plus souples qu’en maison d’arrêt et qu’en maison centrale. Joël Jacob, qui a travaillé en CD, rappelle que la pratique du sport « est une méthode de fonctionnement occupationnel. Pour alléger les tensions, l’AP accorde aux détenus de venir sur les activités de façon libre ». Le sport et les activités de bien-être sont pensés en termes sécuritaires. Le corps défoulé, la paix et le contrôle social sont alors facilités pour le personnel pénitentiaire. Le sport participe « à la sécurité des établissements et rend moins difficiles les conditions de travail des surveillants. » écrit le sociologue et démographe Laurent Gras. Si l’activité sportive du détenu contribue à la tranquillité de l’établissement pénitentiaire, il est désormais compris qu’elle favorise également la réinsertion de ce dernier.



Un paradigme en transformation


Selon le ministère de la Justice, « la pratique des activités sportives fait partie intégrante de la mission d’insertion de l’administration pénitentiaire au regard des caractéristiques des publics qu’elle accueille ». Et d’ajouter : « La diversification de l’offre d’activités physiques et sportives en détention est amorcée depuis plusieurs années. Cette tendance doit se poursuivre et s’intensifier ». Cette dynamique est notamment amorcée depuis 2004, date à laquelle l’AP signe une convention avec quatorze fédérations sportives.

Depuis 2012, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et la Direction Interrégionale des Services Pénitenciers Auvergne-Rhône-Alpes (DISP), mènent avec la collaboration des ligues et des comités régionaux, le projet SPORT ET PRISON. Un appel à projet a été lancé en janvier dernier avec la DISP Alpes/Auvergne qui consiste au travers d’un cycle de sensibilisation (8 séances de 2h) à faire découvrir le sport en détention grâce à l’animation de séances encadrées par un technicien du sport. Au-delà de la découverte de sports connus ou méconnus, les détenus vont apprendre les techniques du sport et ses valeurs : implication et développement psychologique et physique et sensibilisation aux bienfaits de l’activité physique sur la santé.

Des projets peuvent également être menés à l’extérieur de la détention, ce qui favorise la projection du détenu vers le post-carcéral. « Les moniteurs sportifs ont un véritable rôle dans la réinsertion du détenu. Je me suis toujours attelé à ce rôle. Cela passe par un encadrement plus poussé avec des détenus motivés mais aussi par la mise en place de projets tels que des permissions sports en externe, notamment la randonnée. J’en ai organisé des dizaines pendant des années », indique Joël Jacob.

De nombreuses initiatives sont lancées. Au centre pénitentiaire marseillais les Baumettes, le projet Santé-Baumettes mis en place par l’équipe sanitaire proposait des cours d’initiation à la danse pour les femmes en juillet dernier. Assurés par un intervenant extérieur, les cours de danse ont eu lieu pendant quatre mois et ont été suivis de temps d’échange collectifs et individuels. Le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne met en place depuis des années des activités sportives mixtes. En mars dernier, il a organisé un match de futsal mixte suivi d’un débat sur l'égalité hommes-femmes. Dans le cadre de la semaine olympique organisée du 20 au 27 juin 2022, les détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, qui connaissent usuellement un temps quotidien de 2 heures en dehors de leur cellule, ont pu participer à un tournoi féminin et masculin qui regroupait 130 joueurs et joueuses issus de six établissements différents (Fleury-Mérogis, Nanterre, Fresnes, Meaux, Melun et Réau). 



Des pistes d’amélioration


Les maisons d’arrêt, qui connaissent une surpopulation carcérale endémique, notamment les plus anciennes, possèdent « des moyens matériels sont absolument disparates. », rappelle Joël Jacob. L’un des manques à combler pour favoriser l’augmentation de l’offre sportive en détention est également le nombre de moniteurs sportifs. « La difficulté première est le sport de masse. On n’a pas forcément les moyens quand on est 2 moniteurs pour 150 personnes. L’extra-sportif prend le pas : trafic, règlements de compte. On est livré à nous-même. », souligne Joël Jacob. La fonction du sport bascule alors sur de l’occupationnel et revêt un caractère dangereux pour les moniteurs sportifs et les détenus eux-mêmes. En 2022, on recensait 300 moniteurs de sport sur le territoire national, pour environ 72 000 détenus.

Malgré les freins persistant, la dynamique du sport en tant que pratique œuvrant à la réinsertion est enclenchée par l’AP et le ministère de la Justice. Elle tend à ouvrir une fenêtre de liberté pour les détenus derrière les barreaux et cela peut parfois tout changer : « Un ancien détenu, qui était bagarreur, m’a appelé pour me remercier et me dire qu’il avait arrêté le cannabis, quitté son quartier et ses mauvaises fréquentations pour devenir boxeur professionnel. » témoignait le responsable du sport à la maison d’arrêt de Rouen.[1]







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