A 45 ans, Orianne Aymard, auteure, conférencière, humanitaire, himalayiste, diplomate, chercheuse a connu un parcours personnel, académique et professionnel aux multiples rebondissements. En 2023, après l’ascension de plusieurs sommets, elle décide de réaliser son rêve : tutoyer le toit du monde. Là-haut, rien ne se déroule comme prévu.
Rencontre avec Orianne Aymard, un exemple de détermination, de résilience et de positivité.
Un parcours singulier
Le parcours d’Orianne Aymard n’a rien de commun. « Je me suis d’abord intéressée à la biologie marine, puis je me suis ensuite orientée vers les sciences sociales et obtenu un master de la London School of Economics (LSE). Mais, la vie va me faire prendre un autre chemin. A 25 ans, je suis dans le nord de l’Inde, près de la tombe d’une sainte hindoue et je fais une hémorragie cérébrale. Il s’agissait d’une malformation au niveau du cerveau dont je connaissais l’existence, mais les médecins m'avaient indiqué que je pourrai vivre avec, sans complication » explique-t-elle. Après cet accident, la vie d’Orianne Aymard bascule. Elle décide d’arrêter un doctorat (Ph.D.) entamé à la LSE pour en commencer un autre, au Canada, sur les sciences des religions. Sans surprise, elle se spécialise dans l'hindouisme.
Après l’obtention de son Ph.D., Orianne « voulait de l’action. » Elle postule au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), est formée, puis s’envole pour le Burundi. « Là-bas j’ai côtoyé les détenus. Ça m'a un peu ouvert les yeux, je pense, sur la nature humaine, ça a notamment développé en moi plus d’empathie en m’apprenant à avoir moins de préjugés », indique-t-elle. Mais, l’expérience qui changera Orianne, c’est Haïti. 12 janvier 2010 : la terre se met à trembler sur l’île. Orianne, qui était alors entre deux missions, est envoyée à Port-au-Prince. Elle y passera 15 mois. 15 mois de crises successives, chaotiques. « C’était très dur, ça sentait la mort dans les rues de Port-au-Prince. On parle de 280 000 morts mais ils étaient beaucoup plus ». Puis, elle retourne en Amérique du Nord, comme chercheure invitée à l’Université de Columbia à New York, où elle publie son premier livre « When a Goddess Dies ». Deux ans plus tard, elle rentre en France et intègre le Quai d’Orsay où elle restera 4 années, travaillant notamment sur les questions liées à l’extrémisme religieux lors des attentats terroristes en France.
La haute-montagne et le milieu de l’alpinisme
« À 21 ans, au cours d’une année sabbatique pour voyager autour du monde, j’ai découvert le Tibet, le Népal et l’Inde du Nord. Et à 23 ans, je suis retournée au Tibet, et là, pour la première fois, j’ai vu l’Everest. C’était deux ans avant mon hémorragie. Lorsque j’ai vu l’Everest, c’était une évidence : je savais qu’un jour, je serai au sommet. Ce sentiment ne m’a jamais quittée. Pourtant je n’avais aucune notion d'alpinisme ou d’himalayisme, c’était une vision, un appel de cette montagne » se souvient Orianne Aymard. Alors, elle commence en 2019 par le Lhotse à la frontière entre la Chine et le Népal qui culmine à 8 516 mètres d'altitude. La 4e plus haute montagne au monde. Une expérience très compliquée pour l’aventurière qui est la seule femme de son groupe : « Je ne connaissais pas ce milieu de la haute-montagne, mais il peut parfois être cruel. Au début de l’expédition, les hommes ne prêtaient pas forcément attention à moi, ils devaient certainement penser que je n’allais pas y arriver, mais finalement, il s’est avéré que je gère bien l’altitude et le manque d’oxygène. J'ai donc été la première à atteindre le camp 3 à 7200 mètres. Les remarques désobligeantes ont alors commencé. Des remarques qui ont duré pendant plusieurs semaines, le temps de l’expédition. J’ai fini par dire non à tout cela. Ils ont continué mais leur attitude négative n’avait plus d’impact sur moi ».
Atteindre le sommet de l’Everest
Finalement, c’est 4 ans plus tard, en 2023 qu’Orianne prend le chemin de la plus haute montagne du monde, l’Everest, bien décidée à arriver jusqu’au sommet. « Après mon expérience au Lhotse, je m’étais préparée au pire, notamment par rapport à l’équipe avec laquelle je le retrouverai. Finalement ça s’est très bien passé à ce niveau-là ». Orianne et son groupe commencent l’ascension lorsque, soudainement, ils entendent un bruit assourdissant, plus puissant qu’un orage. Ils se trouvent alors dans l’un des passages les plus redoutés et les plus dangereux de l'ascension de l’Everest, la cascade de glace du Khumbu. Des séracs, ces énormes blocs de glace pesant parfois des tonnes, se détachent Les chances de survie sont quasi nulles. Orianne Aymard se trouvait en dessous. « Une dizaine de jours auparavant, trois personnes avaient perdu la vie à cet endroit. Je connaissais cette cascade, pire, je la redoutais. Je n’ai pas eu le temps. Tout est allé tellement vite. Par réflexe, je me suis mise en boule, j’ai réalisé une ultime prière extrêmement courte, et j’ai été propulsée. J’ai eu l’impression d’être une balle de baseball que la batte viendrait frapper. Je me suis retrouvée sur le dos, complètement désorientée et sanguinolente. Mon sherpa, par miracle, a échappé lui aussi à la mort. Il m’a retrouvée et m’a empressée de partir. D’autres morceaux de glace pouvaient tomber à tout moment, tout est très instable. Je n’entendais plus rien, c’était horrible. Je me suis levée. J’ai réalisé que j’étais en vie et que pour le rester, je devais partir et marcher. Nous avons mis 2 ou 3 heures à rejoindre le camp de base et, de là, j’ai été transférée à l'hôpital ».
Après plusieurs jours d’hospitalisation à Katmandou, Orianne prend la décision de retourner au camp de base de l’Everest. « C’était une évidence ». Finalement elle réussit son ascension, atteint le sommet le 17 mai, fière d’elle et de ce qu’elle a accompli. Mais une fois encore, rien ne se passe comme prévu. « Une tempête s’est déclenchée, nous avons dû rester 3 jours dans la zone de la mort, c’est-à-dire au-dessus des 8000 mètres. La dernière nuit, je n’avais plus d’eau ni d'oxygène. Lors de la redescente, au niveau de Yellow Band, une bande rocheuse, j’ai fait une petite chute. Mon pied a vrillé et je me suis fracturé le pied. Je l’ai su tout de suite, la douleur était tellement intense. A partir de ce moment-là, l’enfer a commencé. J’étais à 7800 mètres et il n’y a pas de secours à ces hauteurs. Mais Orianne Aymard ne peut plus bouger. La douleur est trop intense. Et son sherpa a disparu. Le temps passe. 15 à 20 minutes environ. Personne ne s’arrête. « Je me suis relevée parce que je n’avais pas le choix. Si je restais, j’allais mourir. J’ai donc commencé par des petits pas et, à la sortie de la Yellow Band, je retrouve mon sherpa. Je lui explique la situation. Et il repart à nouveau sans m’attendre. J’ai donc continué seule. Normalement on redescend en 3h au camp 3. J’en ai mis 10. J’ai ressenti un vrai moment de solitude jusqu’à ce qu’un autre sherpa, que je ne connaissais pas, me propose son aide, un peu avant le camp 3. C’est la seule personne qui s’est arrêtée. Il m’a quelque part sauvée. »
Trouver la force et gérer l’après
« J’avais des gelures, le bout de mes doigts avait commencé à nécroser, je pensais que j’allais les perdre. Finalement après des mois de bandages, ils ont pu être sauvés. Il a également fallu que je traite la fracture ». Mais, pour Orianne ce n’est rien par rapport « à l’impact psychologique que l’Everest a eu sur moi. J’ai dû traiter cet abandon. Désormais, j’ai plus de mal à faire confiance ». De toutes ces expériences, l’aventurière retire beaucoup d’enseignements. « Je peux dire qu’il faut faire confiance à la vie et se faire confiance aussi. Écouter ses intuitions » souligne Orianne Aymard. La suite ? Orianne a des projets plein la tête, mais tout dépendra des financements qu’elle pourra obtenir. « Je pourrais faire partie d’une expédition au printemps pour ouvrir une nouvelle voie qui mènerait au sommet de l’Everest en contournant la cascade de glace » explique Orianne et de conclure : « Mais, ce qui me tiendrait vraiment à coeur, ce serait de réaliser le Grand Chelem des Explorateurs, c’est-à-dire l’ascension du plus haut sommet de chaque continent et l’atteinte des pôles Sud et Nord à ski. Je pourrais être la première française à réussir cet exploit ».
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