Avec la multiplication des foyers de conflits à travers le monde et la succession de catastrophes climatiques, le système d’aide humanitaire est à bout de souffle. Les personnels d’ONG et de l’ONU risquent chaque jour leur vie, l’intensité de la violence contribue à créer des cercles vicieux pour les populations locales et les financements ne sont pas à la hauteur des besoins. Autant d’éléments qui poussent aujourd’hui certains acteurs à appeler à une refonte du système de l’aide humanitaire.
Par Camille Léveillé
Des accès de plus en plus difficiles
Au fil des crises et des années, l’acheminement de l’aide humanitaire se complexifie. En témoigne la situation dans la bande de Gaza. Le défi logistique est énorme. L’aide arrive au compte-goutte. Avant le 7 octobre 2023, les équipes de l’ONG Care faisaient entrer environ 800 camions chaque jour, ces dernières semaines, 22 réussissent à se frayer un passage.¹ La survie des 2 millions de Palestiniens présents dans le territoire ne dépend plus que de l’aide humanitaire. Une situation extrêmement tendue qui n’a pas vocation à s’arranger, Israël ayant lancé une nouvelle offensive militaire dans la ville de Rafah, bloquant l’acheminement de l’aide humanitaire et abandonnant plus d’un million de Palestiniens à leur triste sort. « Des personnels de l’ONU sont présents à Rafah. A l'heure actuelle, la défense militaire israélienne ordonne l'évacuation de la zone, ce que nous ne ferons pas. Nous ne souhaitons pas abandonner ces hommes, ces femmes et ces enfants. Etre proche de ceux qui ont besoin d’aide, c’est notre raison d'être. Nous resterons à leurs côtés aussi longtemps que possible » assure Jens Laerke, porte-parole du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires. En Haïti, la situation est tout aussi préoccupante. La violence armée qui secoue le pays depuis plusieurs mois déjà, limite l’acheminement de l’aide sur place. 125 000 enfants sont exposés à un risque de malnutrition aiguë sévère et le pillage d’un conteneur de l’UNICEF dans lequel se trouvaient des fournitures essentielles, notamment pour la survie des enfants et de leurs mères en mars dernier, vient assombrir le tableau. Le seul couloir humanitaire reliant Port-au-Prince aux régions du sud est toujours bloqué, aggravant un peu plus la situation de 15 000 enfants souffrant déjà de malnutrition. Les conflits armés impactent aussi l’acheminement de l’aide humanitaire au Soudan, en proie à une guerre civile depuis plus d’un an. « Au Soudan, nous avons un véritable problème d’accès aux populations. Leur apporter l’aide dont ils ont besoin est devenu très compliqué. Or, cet accès est essentiel pour notre travail. Pour acheminer l’aide adéquate, il nous faut évaluer la situation. Pour l’heure, nous avons un accès très limité à Khartoum et la présence de l'ONU au Darfour est encore plus réduite. Pour le Soudan, la présence de l’ONU dure depuis de nombreuses années. Aussi, pouvons-nous nous reposer sur des partenaires de confiance, comme des ONG locales ou des organisations de la société civile qui, elles, nous flèchent les besoins les plus importants » développe Jens Laerke. La multiplication des crises à travers le monde renforce encore de plus en plus les difficultés de l’acheminement d’une aide pour tous. Myanmar, Syrie, Yémen, Tchad, Ukraine, Burkina Faso, Afghanistan, Ethiopie, Somalie, République Démocratique du Congo, autant de pays dans lesquels la survie est devenue un quotidien.
Le personnel en danger
Partout dans le monde, les ONG internationales et locales et l’ONU se mobilisent chaque jour pour tenter d’améliorer le quotidien des quelque 300 millions de personnes nécessitant une aide humanitaire en 2024.² Avec des conséquences parfois lourdes et une insécurité grandissante dont leurs personnels sont eux aussi victimes. En 2022, l’Aid Worker Security Database a relevé au moins 439 attaques contre des équipes humanitaires. Cette même année fut la plus violente pour les personnels de santé.³ « La violence exercée contre les personnels humanitaires et de santé, comme à l’encontre des populations civiles, nécessite une prise de conscience urgente. [...] Les bailleurs se doivent de mieux prendre en charge les coûts liés à la sécurité de nos employés. » souligne Frédéric Penard, Directeur Général d’Action contre la Faim.⁴ Un risque dont l’ONU se fait aussi l’écho. « Les équipes de l'ONU sur le terrain prennent des risques tous les jours, mais elles ne peuvent pas ignorer les dangers auxquels elles sont confrontées » déclarait déjà Gilles Michaud, Secrétaire général adjoint à la sûreté et à la sécurité des Nations unies dans les colonnes de S&D Magazine, en 2023.⁵ Depuis, il sollicite les pays donateurs potentiels pour qu’ils débloquent des fonds spéciaux destinés à renforcer ses équipes, moderniser les outils technologiques et créer une unité de réponse rapide qui puisse se déplacer dans les plus brefs délais dans les zones les plus à risque du monde. Depuis le début du conflit dans la bande de Gaza, 190 employés de l’ONU Palestiniens ont été tués, un premier employé international de l’organisation a également été retrouvé mort mi-mai à Rafah. L’armée israélienne a par ailleurs reconnu avoir tiré “par erreur” sur des humanitaires dans la bande de Gaza.
Les financements en berne
« Le financement est un problème depuis de nombreuses années. Ce n'est pas nouveau, mais ce qui l'est, c'est que l'écart entre ce que nous demandons et l'argent que nous recevons se creuse de plus en plus. Nous en sommes conscients et nous cherchons des solutions. En 2023, nous demandions près de 56 milliards de dollars. Pour 2024, nous demandons 10 milliards de moins. Non pas que nous n’en ayons pas besoin, mais nous savions que nous ne pourrions pas réunir la somme nécessaire quoiqu’il arrive. Nous avons dû faire des choix douloureux et établir des priorités » se désole Jens Laerke. S’ils sont près de 300 millions à nécessiter une aide humanitaire, au regard des financements disponibles, l’ONU compte aider 180,5 millions de personnes cette année. Les Etats les plus riches doivent être mis à contribution pour espérer atteindre l’objectif fixé. C’est par ailleurs ce qu’a tenu à rappeler Janez Lenarčič, commissaire européen responsable de l’humanitaire il y a peu : « Ne vous y trompez pas, le canot de sauvetage humanitaire est en train de couler ». En 2022, la France allouait 15,3 milliards d’euros à l’aide publique au développement qui concerne notamment les situations humanitaires urgentes, mais Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a annoncé en février dernier une baisse de 742 millions d’euros de ces crédits pour l’année 2024.⁶ Ces coupes devraient frapper des agences des Nations Unies parmi lesquelles le Programme alimentaire mondial ou encore le Bureau de coordination des affaires humanitaires.
Repenser le modèle
Consciente des difficultés auxquelles elle est confrontée, l’ONU ne compte pas laisser les 300 millions de citoyens du monde sans solutions. Le Bureau des Affaires humanitaires s’adapte. « Nous n'allons pas cesser de demander de l'argent, mais nous allons solliciter davantage de typologies de donateurs. Pour l’heure, seul un petit nombre donne beaucoup d’argent. Parmi eux : les Etats-Unis, l’Allemagne et autres Etats européens, les Etats du Golfe, le Canada, l’Australie ou encore l'Union européenne en tant qu’entité. Nous devons aujourd’hui demander à des Etats à revenu intermédiaire de contribuer, à hauteur de leur PIB certes, mais de contribuer quand même. Pour la diversification de nos financements, nous souhaitons également adresser le secteur privé et les citoyens qui ont d’importants revenus, des multi-milliardaires » souligne Jens Laerke. Mais, pour l'ONU, l’intensification de l’aide au développement reste un enjeu majeur à relever. Une manière d’abaisser les besoins humanitaires, en particulier dans les zones de conflits. « La plupart des besoins humanitaires vitaux auxquels nous répondons sont dus à l'échec du développement » abonde le porte-parole du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires qui appelle également à intensifier les efforts sur l’action anticipative. « L’idée est de débloquer des fonds non pas après la catastrophe mais avant. De nombreuses crises, en particulier les crises climatiques, sont prédictibles, nous pouvons donc agir sur les effets de ces dernières. Nous pensons qu’il serait judicieux de repenser la manière de gérer ces crises pour limiter le nombre de victimes et donc, par extension, de personnes dans le besoin. Nous avons déjà mis en place ce type de processus par exemple au Pakistan et au Bangladesh lors des fortes inondations de l’année dernière. Nous fournissions aux populations des sacs de sable pour qu’ils se protègent. Certes les victimes ont été nombreuses, mais il y aurait pu en avoir beaucoup plus sans cette action. Désormais, nous souhaitons étendre l’action anticipative pour d’autres situations de crises. D’autant que pour les donneurs, sur le temps long, le coût est moindre. » argumente Jens Laerke. Des propositions alléchantes mais qui ne permettront pas d’enrayer la spirale infernale de l’augmentation des besoins humanitaires à travers le monde. La catastrophe humanitaire étant la conséquence, peut-être serait-il temps de s’attaquer aux causes ? « Les organisations humanitaires ne peuvent se contenter de traiter les symptômes des crises mais doivent également s'attaquer à leurs « causes profondes » ou du moins faire pression sur les gouvernements occidentaux et les institutions multilatérales pour qu'elles le fassent. [...] S’attaquer aux causes profondes des crises humanitaires implique [...] de procéder à une transformation en profondeur des institutions, des comportements et des mentalités jugés responsables de la perpétuation de la violence. L'action humanitaire doit contribuer à la transformation des « Etats faillis » en démocraties libérales, pacifiées, fondées sur l'Etat de droit, les droits humains et l'économie de marché. »⁷ abondent Thomas G. Weiss & Rorder Wilkinson, auteurs de “Organisations internationales et gouvernance mondiale".
²https://www.unocha.org/publications/report/world/global-humanitarian-overview-2024-enarfres#:~:text=In%202024%2C%20nearly%20300%20million,in%20East%20and%20Southern%20Africa ³https://www.actioncontrelafaim.org/presse/mieux-proteger-les-humanitaires-pour-repondre-aux-besoins-croissants/
⁴Ibid ⁵ https://sd-magazine.com/?p=12828
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