Le théâtre est un espace de liberté où nos modes de vie peuvent être réinventés. A l’infini. Il continue également à être un art qui permet de sensibiliser ou alerter. Aux enjeux climatiques notamment…
Jouer pour sensibiliser
« C’est devenu un sujet tellement central, qui permet de tout questionner que, quand on fait de la création contemporaine, c’est difficile de l’éviter. Ça intéresse beaucoup le public qui se pose des questions, et cherche tout comme nous, des solutions. Par ailleurs, le théâtre et la création artistique sont formidablement bien outillés pour s’attaquer à l’écologie et pour la questionner. La liberté dont nous disposons pour construire nos récits, nous permet de mettre en lien, ce que des universitaires ou scientifiques ne peuvent pas toujours faire. Or, c’est précisément ce dont on a besoin pour comprendre aujourd’hui la crise écologique, puisqu’elle ne fait que mettre en lien et révéler des interconnexions inattendues entre des spécialités de différents champs disciplinaires »¹ témoigne Frédéric Ferrer, dramaturge et auteur de Mauvais Temps, une pièce qui, dès 2003, revenait sur le 3e rapport du GIEC. « Comment arrête-t-on de raconter des histoires où l’Homme traverse la planète en maître et possesseur de la nature ? Qu’est-ce qui peut être inventé comme nouvelle forme de récit ? Comment donner une chaire, une immédiateté émotionnelle aux bouleversements climatiques ? »² se questionne quant à elle Alice Zeniter, également dramaturge et auteure de la pièce Quand viendra la vague, un manifeste poétique dans lequel elle explore le positionnement de chacun face aux conséquences du dérèglement climatique. D’autant que le sujet de l’écologie ou celui du changement climatique et de ses impacts peuvent parfois paraître lourds et difficiles à appréhender. Là encore le théâtre peut jouer un rôle. « C’est aussi important de considérer la manière dont les arts peuvent décloisonner. Dans des tas de domaines scientifiques, l’éducation nationale ne peut pas faire tout le travail. Il faut que ce savoir puisse aussi passer par d’autres biais. Malgré tout l’intérêt suscité, les publications scientifiques ont encore un côté hyper impressionnant. En rentrant chez soi, on n’a pas forcément le réflexe de consulter les articles parus dans des revues scientifiques ! Le fait de pouvoir créer d’autres formes de transmission du savoir, notamment à travers la fiction, je trouve que c’est bien. En tout cas, c'est quelque chose que je vois de plus en plus ces dix dernières années » poursuit Alice Zeniter.³
Des expérimentations locales
Si les premières pièces abordant le thème de l’écologie et du climat datent d’une vingtaine d’années en France, elles prennent depuis peu, de plus en plus de place dans le paysage. Aux quatre coins du pays, les initiatives essaiment et ce, jusque dans les Outre-mer. Sept collectivités des Pays de la Loire se sont associées autour du projet "Destination Katalyse", dans lequel les habitants ne sont plus simplement spectateurs mais bel et bien acteurs des transitions locales. Spectacle et animations sont au programme pour donner la « possibilité de partager leur perception du changement climatique et d’imaginer leur territoire à l’horizon 2050 ».⁴ Issue d’une technique de théâtre sociale appelée le théâtre forum, la pièce Déviation permet aux personnes de tenter de régler des conflits sur scène. L’idée est simple : aider les participants à imaginer des futurs désirables pour qu’ils retrouvent un pouvoir d’action et lever les freins qui y sont liés. A la Réunion, The Climate Show, un spectacle interactif plonge les spectateurs à la fois au cœur des défis que posent le changement climatique mais propose aussi des solutions. Le tout de façon immersive, le public participant directement aux choix qui influencent l’avenir de la planète. Construit à partir des recherches du GIEC et enrichi par des interventions extérieures, l’idée est avant tout de sensibiliser, notamment les plus jeunes. En 2015, six mois avant le début de la COP21 Bruno Latour a créé le Théâtre des négociations composé d’étudiants de différents pays. Perçu comme « une expérimentation politique et une tentative pour donner à voir, par le théâtre [...] le Parlement des choses », les fondateurs ont souhaité « représenter les êtres et les entités qui étaient en jeu dans les négociations climatiques : non seulement les Etats-nations, mais les fleuves, les animaux… Nous voulions tester la puissance de la fiction, sa capacité à ouvrir brusquement la question politique à d'autres êtres. Comme dans un gigantesque jeu de rôle, chaque étudiant représentait une force en présence – un État, le lobby des hydrocarbures ou le fleuve Amazone, et, pendant trois jours, les négociations ont débordé dans les couloirs, les jardins, les bureaux, les ateliers… C'est ce qui m'a passionnée : la question écologique percute le théâtre au point d'en modifier les formes. Le théâtre est donc devenu, à cette occasion, un laboratoire esthétique, mais aussi philosophique et politique »⁵ observe Frédérique Aït-Touati, chercheuse au CNRS et metteuse en scène.
Des initiatives à l’international
Partout dans le monde d’autres pièces abordant les sujets du changement climatique et de ses effets voient aussi le jour. Au Kenya, la pièce jouée par la troupe de SAFE Pwani permet de revenir sur les 40 dernières années, charnières concernant le réchauffement climatique. L’objectif est d’amener le public en voyage autour de questions essentielles : quelles erreurs ont été commises ? Comment faire pour inverser la tendance ? Des ateliers sont aussi organisés pour sensibiliser aux effets du changement climatique. Les organisateurs espèrent pouvoir insuffler une nouvelle dynamique auprès des populations notamment dans des régions lourdement atteintes. En Lituanie, le théâtre dramatique national a voulu aller plus loin. Une expérimentation a permis d’alimenter en électricité l'entièreté d’une pièce de théâtre grâce… à deux vélos d'appartement. Dans cette pièce, un monologue dans lequel le personnage principal expose l’histoire de la Terre, Miranda Rose Hall a souhaité mettre l’accent sur le potentiel rôle joué par l’Homme dans la future extinction massive. C’est dans ce contexte qu’est née l'idée de monter la pièce uniquement à partir de ressources locales. Trois heures de pédalage sont suffisantes pour générer l’énergie nécessaire à l’heure et demie que dure la représentation. Une nouvelle voie pour proposer des représentations théâtrales qui, elles-mêmes, auraient un moindre impact pour l’environnement…
²Ibid
³Ibid
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