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Climat et biodiversité, même combat !

Les discours sur la transition écologique font aujourd’hui la part belle aux questions climatiques, au détriment des enjeux liés à la biodiversité. Pourtant, urgence climatique et effondrement de la biodiversité sont deux crises inextricablement liées. Elles doivent faire l’objet de réponses systémiques et conduire à de profonds changements de nos modèles économiques et agro-alimentaires.

Par Marie Rollet

© Wirestock

A crises globales, réponses globales A la fois moins connu, moins visible, plus difficile à appréhender et à mesurer, l’effondrement de la biodiversité reste une réelle menace pour l’Homme. La vie humaine dépend en grande partie des services que nous tirons de la nature : alimentation, santé, habitat... L’IPBES¹ identifie 5 causes à cet effondrement : le changement d’usage des terres et de la mer, l’exploitation directe de certains organismes, la pollution, les espèces exotiques envahissantes et… le changement climatique. Car climat et biodiversité sont deux crises globales, interconnectées, et interdépendantes qui tirent leurs origines des mêmes maux : modes de production et de consommation, croissance démographique, mondialisation des économies... Si les crises sont liées, les réponses doivent l’être aussi. Il s’agit notamment d’éviter que les solutions apportées à chacune d’elle ne se neutralisent. « Il faut cesser de penser en silos, il faut réfléchir de façon systémique. C’est en analysant l’ensemble du système qu’on pourra choisir les meilleures solutions, lesquelles ne peuvent pas être fondées uniquement sur des critères techniques et économiques. » explique Frédérique Chlous, Présidente du Conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité. Pour des politiques volontaristes et intégrées « Pour un changement transformateur, à la fois individuel et collectif, il est nécessaire que les politiques publiques se saisissent de ces sujets. Plusieurs décideurs ont identifié les enjeux. Toute décision doit être pensée avec son impact sur l’environnement. » ajoute Frédérique Chlous. Cela suppose d’abord des politiques ambitieuses et coordonnées. « Pour être efficace, une stratégie nationale de la biodiversité devrait s’attaquer aux 5 pressions identifiées par l’IPBES, y compris le changement climatique » précise Juliette Landry, chercheuse sur la gouvernance internationale de la biodiversité à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Or les politiques publiques sont encore trop souvent cloisonnées, et se chevauchent parfois sans réelle cohérence d’ensemble. La France, avec son arsenal particulièrement ambitieux, ne fait pas exception : Stratégie nationale biodiversité, Stratégie bas carbone, Stratégie du milieu marin, Plan national d’adaptation au changement climatique, etc. qui sont mises en œuvre par autant d’institutions et d’organismes différents, avec des questions de répartition des responsabilités et attributions qui nuisent à leur efficacité, rappelle Andreas Rüdinger, coordinateur transition énergétique France de l’IDDRI.² Au niveau international, plusieurs dispositifs coexistent sans coordination étroite : Accord de Paris, Conventions de Rio, Objectifs de Développement Durable... « L’Accord issu de la COP15 ouvre des perspectives encourageantes vers un meilleur alignement de ces instruments. Il constitue un outil pour mieux intégrer la biodiversité dans les différentes politiques sectorielles. » souligne Juliette Landry, au travers notamment d'objectifs chiffrés, de processus de suivi des engagements nationaux, de mobilisation de ressources financières… « Même si certains pays ont refusé d’intégrer à cet accord des objectifs chiffrés en matière de climat » déplore-t-elle. Des solutions systémiques et inclusives

Sur le terrain, les projets et actions doivent eux aussi traduire cette approche globale. Avec une priorité commune : la réduction des gaz à effet de serre, qui permettra à la fois de lutter contre le dérèglement climatique et contre l’effondrement de la biodiversité.

Les « solutions fondées sur la nature» (SfN) constitueraient un élément de réponse à ce double défi. Conçues pour préserver et restaurer les écosystèmes et améliorer leur gestion pour une utilisation durable, elles doivent permettre de « relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité ».³ Pour préserver les milieux, les participants de la COP15 se sont ainsi accordés à doubler le nombre d’aires protégées d’ici 2030. D’autres promeuvent la libre évolution, ou « ré-ensauvagement », comme l’association Francis Hallé qui œuvre à la création d’un espace européen « dans lequel une forêt intacte évoluera de façon autonome, renouvelant et développant sa faune et sa flore sans aucune intervention humaine (…) ».⁴ Pour réparer les écosystèmes, les projets de restauration se multiplient, des tourbières d’Ecosse aux mangroves du delta du Mekong en passant par les rizières de Guinée Bissao. Pour concilier activité humaine et préservation de l’environnement, les infrastructures vertes et les initiatives de “renaturation” des villes se développent.

Les SfN sont pourtant loin de faire l’unanimité. Pour certains, elles sont trop souvent un instrument d’ « écoblanchiment », financées à des fins de compensation carbone par des entreprises poursuivant par ailleurs des activités fortement émettrices de gaz à effet de serre ; souvent au détriment de la protection de l’environnement, en utilisant des terres agricoles ou des zones habitées ou en introduisant des espèces non indigènes ou des mono-cultures. « Pour d’autres, les SfN sont considérés comme une forme de "néocolonialisme vert." Pour être intéressants, ces projets doivent donc être formulés par les pays concernés » » explique Juliette Landry. D’autant que les peuples autochtones et communautés locales détiennent un savoir-faire ancestral en matière de conservation de l’environnement. L’état écologique de leurs terres est estimé « bon ou acceptable » à 91 %⁵, leur fournissant des ressources vitales tout en contribuant à la capture et au stockage des gaz à effet de serre ou encore à la production d’oxygène… Les projets de conservation de l’environnement sont ainsi plus efficaces quand ces populations sont associées à leur gouvernance⁶, en plus d’être plus justes et respectueux des droits humains, donc garants d’une transition réussie.

Vers de nouveaux modèles économiques et agro-alimentaires Ces mesures, aussi efficaces et utiles soient elles, ne suffiront pas à répondre à cette double urgence. Elles doivent s’accompagner de changements en profondeur des modèles économiques qui en sont à l’origine. « Il faut dépasser cette vision naturaliste selon laquelle l’Homme est au-dessus de la nature, qui n’existe que pour le servir. » rappelle Frédérique Chlous. Catherine Aubertin, économiste de l’environnement, appelle à « renverser le regard »⁷ pour penser un autre modèle de gouvernance de la nature. Autour de la notion de « communs », elle appelle à intégrer la nature dans un projet de société centré sur la soutenabilité, avec un objectif d’amélioration constante de l’accès et du partage des éléments naturels.⁸ Il s’agit notamment de transformer les pratiques agricoles et alimentaires, activités humaines ayant le plus d’impact sur la biodiversité. Plébiscitée par les scientifiques, l’agro-écologie pourrait incarner cette transformation. Consistant à « utiliser de manière optimale les ressources apportées par la nature pour développer une agriculture utilisant le minimum d’intrants de synthèse et accroître la résilience et l’autonomie des exploitations »⁹, elle reflète cette approche globale qui concilie agriculture, écologie, productivité et biodiversité. Les expériences se multiplient dans les territoires : agroforesterie, pâturages tournants, autonomie protéique, sylvo-pastoralisme… Elles seraient même plus rentables que les exploitations conventionnelles, bien que leurs exigences environnementales soient plus élevées.¹⁰ Les défis pour qu’elles se généralisent sont nombreux, mais des pistes existent : ajustement des aides et subventions dédiées aux référentiels agro-écologiques, amélioration des référentiels à forte exigence environnementale… et une nécessaire évolution des pratiques des consommateurs vers une alimentation moins carnée et plus raisonnée.



¹ Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services

³UICN

Ibid

¹⁰ Ibid


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