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Comment les géants du luxe pensent-ils le monde de demain ?

Dernière mise à jour : 22 mars 2023

Secteur estimé aujourd’hui à 288 milliards d'euros, le luxe pourrait atteindre les 380 milliards à horizon 2035.¹ Alors que de nombreuses polémiques dénoncent cette filière jugée déconnectée de la réalité, notamment de la situation environnementale ; de nombreux acteurs s’engagent, emboitant le pas à ceux engagés depuis plus de 15 ans pour certains, dans des démarches de durabilité, vertueuse et respectueuse de l’environnement mais aussi en faveur de l’inclusion ou encore dans la lutte contre les violences faites aux femmes… Zoom sur le luxe, un secteur économique qui change de cap.


Par Camille Léveillé



Montrer l’exemple


« Si le luxe n’est pas responsable, qui d’autre donne l’exemple ? » interrogeait Manuel Mallen, cofondateur de Courbet, marque de joaillerie écologique et éthique dans les colonnes d’Opsforgood.² En effet, 60% des consommateurs considèrent que le luxe a la responsabilité d’initier la transition sociale, environnementale et sociétale³ et ce notamment grâce à leur capacité d’influence. Certaines maisons sont engagées depuis de nombreuses années, à l’instar du groupe LVMH qui oeuvre, depuis 25 ans pour le développement durable au travers de la Direction de l’environnement chargée d’accompagner chacune des maisons du groupe dans leur « développement sur la durée, tout en respectant l’environnement ».⁴ Grâce à leur pouvoir de créativité les entreprises du luxe pourraient contribuer à rendre le durable désirable pour tous les consommateurs. « En tant qu’acteur du luxe, nous avons les moyens financiers de travailler sur des méthodes innovantes. En cas de réussite, cette innovation pourrait être partagée avec l’ensemble de l'industrie. Nous avons une responsabilité à rendre l’industrie plus durable d’autant que nous disposons d’un pouvoir d'influence symbolique très fort » confirme Anouchka Didier-Mansour, directrice de la RSE au sein de la Maison Cartier.


Vers un monde plus durable

Si certains font figure de pionnier dans l’engagement pour un monde meilleur, aujourd’hui la grande majorité voire toutes les maisons ont une stratégie de Responsabilité Sociale des Entreprises. Le cycle de vie et la traçabilité des produits, le bien-être animal, la préservation de l’environnement, le respect des droits de l’homme et du droit du travail ou encore un engagement prononcé pour des associations figurent parmi les thématiques les plus récurrentes. « Chacune des actions du Groupe et de ses collaborateurs est porteuse de nos engagements en matière d’éthique, de responsabilité sociale et de respect de l’environnement. Ils sont le fondement de la performance et de la pérennité de nos Maisons. Convaincus qu’il n’y a pas de produit désirable sans société durable, nous avons à cœur d’assurer que nos produits et la façon dont ils sont fabriqués impactent positivement l’ensemble de notre écosystème et les territoires dans lesquels nous sommes implantés, et que notre Groupe contribue activement à un avenir meilleur »⁵ développe le groupe LVMH. A travers sa mission Handicap, le groupe a des objectifs ambitieux. Meilleure accessibilité, multiplication par deux des effectifs de personnes en situation de handicap au sein des équipes d'ici 2025 ou encore accompagnement des personnes déclarant une situation de handicap au cours de leur vie de salarié font partie des engagements.⁶ La fondation du groupe Kering apporte, elle, une aide aux femmes victimes de violences et, pour étendre l'impact de cette fondation, des partenariats ont été noués dans six pays. Le groupe a notamment participé à la création d’une nouvelle unité pour les femmes victimes d’inceste lors de leur enfance au sein de la Maison des Femmes de Seine Saint-Denis, partenaires de longue date. Ainsi, en 2021 la structure a pu soutenir 4174 femmes et réaliser 15 000 consultations !⁷ Au niveau environnemental, la Maison Chanel a lancé en mars 2020, la mission 1.5 qui ambitionne un passage à 100 % d'électricité renouvelable d'ici 2025, financement des projets d’adaptation aux changements climatiques tels que l'initiative Landscape Resilience Fund ou encore une réduction de 50% les émissions de gaz à effet de serre de toutes les activités de la maison à l’horizon 2030 font partie des principaux objectifs fixés. Rendez-vous en 2025 et 2030 pour apprécier les résultats de nombreuses volontés affichées. La Maison Cartier, engagée depuis 2005 dans une démarche RSE a notamment financé des projets sociaux et environnementaux au Pérou dans le périmètre direct d’une mine d’or qu’ils soutiennent. « Le premier projet que nous avons financé a permis de relier la mine à l’électricité. L’impact a été significatif puisque cela a permis de réduire de plus de 60 % les émissions CO2 de la mine. Lorsque l’on sait que nous devons nous tourner vers une économie bas carbone, cette action prend tout son sens » témoigne Anouchka Didier-Mansour.


Jouer collectif


Les Maisons du luxe ont véritablement impulsé un mouvement pour se tourner vers le “green” souvent vu comme apportant un véritable avantage compétitif. Aujourd’hui, ces Maisons doivent emporter toute la chaîne de valeur de la production à la distribution pour être réellement considérées comme respectueuses de l’environnement. En d’autres termes, leurs responsabilité a mué d’un devoir d’exemplarité à un devoir de transmission. « Nous avons conscience que la maison Cartier, qui tient une place de référence dans l'industrie, a un rôle à jouer. C’est notamment pourquoi nous nous engageons en faveur de la création de plusieurs organisations dont l’objectif est de structurer les filières pour imaginer un monde plus durable. Ainsi, nous avons co-créé le Responsible Jewellery Council . Cette organisation à but non lucratif a pour objectif de créer les standards de responsabilité pour toute la chaîne de la joaillerie, de la mine à la vitrine » souligne Anouchka Didier-Mansour et d’ajouter : « Aujourd’hui 99 % des émissions de CO2 de la Maison Cartier sont émises en dehors de nos infrastructures. Comment atteindre notre objectif de 46 % de réduction des émissions de CO2 dans ce contexte ? Nous devons travailler avec nos partenaires et c’est également l’origine de l’initiative que nous avons créé en octobre 2021 avec le Groupe Kering nommée la Watch Jewellery Initiative. Il s’agit d’une première initiative de ce type dans le secteur de l'horlogerie et de la joaillerie. Cette initiative réunit déjà plus d'une vingtaine d’acteurs et a pour objectif de travailler en collaboration pour que l’industrie ait un impact positif. 3 piliers sont au cœur de notre action : renforcer la résilience climatique, préserver les ressources et favoriser l’inclusion tout au long de la chaîne de valeur. Collaborer est un impératif de premier plan si nous voulons faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain ».


Le cuir : une adaptation réussie


Le cuir reste l’une des matières utilisées par les grandes Maisons du luxe mais également l'une des plus décriées par les associations de défense du bien-être animal. Il a été prouvé à maintes reprises que les conditions de vie et d’abattage des bovins étaient catastrophiques. Alors, une fois de plus les grandes Maisons ont réagi. « Les coalitions avec d'autres industries sont clefs pour transformer les filières dans leur ensemble. C'est le cas pour le cuir par exemple »⁸ souligne Marie Claire Daveu, Directrice Développement Durable et Affaires Institutionnelles de Kering. Hermès a, de son côté, annoncé passer à la biotechnologie des cuirs et, désormais les sacs à main Victoria intégreront un dérivé de champignon développé en Californie. Le cuir sera par la suite tanné, assemblé et fini dans les ateliers d’Hermès, sur le sol français.


L’innovation au coeur de la démarche éco-responsable


LVMH a créé le prix LVMH Innovation Award qui récompense les initiatives novatrices. La start-up Desserto a reçu le prix 2020 pour la fabrication d’un cuir végétal issu de cactus. De son côté Kering collabore avec 119 start-up et possède 2 laboratoires, en Suisse et en Italie.

Mais, la principale innovation pourrait se trouver dans la blockchain. En effet, de plus en plus de grandes maisons se tournent vers cette technologie pour améliorer la traçabilité et l'authenticité des produits mis sur le marché mais améliore également l’impact environnemental. Aura, premier consortium composé de LVMH, Prada et Cartier, puis rejoint par Mercedes-Benz, est une blockchain dont l’objectif est d’amener « l'expérience client à un nouveau niveau et construire un avenir vertueux pour l'industrie du luxe. En promouvant l'utilisation d'une solution blockchain mondiale unique ouverte à toutes les marques de luxe de tous les secteurs de l'industrie dans le monde, Aura Blockchain Consortium accélère la transition vers un modèle commercial circulaire, la confiance et la transparence pour les clients, l'innovation et la durabilité ».⁹ Le consortium s’est récemment associé à Sarine pour établir de nouvelles normes en matière de traçabilité des diamants.


S’il ne fait aucun doute que l’innovation pourrait permettre à ce secteur de se réinventer pour être en phase avec les demandes des consommateurs, le luxe doit aujourd’hui réussir à transmettre l’importance de ces valeurs à l’ensemble du tissu économique de la mode.


Replacer l’humain au coeur des actions


« Il y a 5 ans, je me rendais à l’hôpital Cochin avec le sentiment que cela serait un aller sans retour. J’allais finalement en sortir après 68 jours en réanimation, plus de 15 jours de coma tourmenté, des opérations, et une multitude d’interventions que je ne serai pas capable d’énumérer… Je partais alors vers l’hôpital Necker pour 45 autres jours.

Depuis, je suis entré dans une spirale incroyable, entre le retour à la vie, ses hauts, ses bas, les innombrables rendez-vous à l’hôpital (…)

J’ai cru pendant longtemps que je ne serai plus capable de travailler dans le secteur de la mode et du luxe. J’en ai d’ailleurs fait un rejet les premières années. Puis l’envie m’est revenue, après avoir passé un diplôme de coaching en entreprise et de formateur. J’avais cependant le fort sentiment de ne plus être désirable dans cet univers après ce que j’avais subi. Le sentiment d’être abîmé, de ne plus être impeccable comme les produits que l’on vend.

J’ai malgré tout tenté ma chance, à la condition d’être transparent lors de mes entretiens sur ce qui m’était arrivé, sur mon nouveau statut de « travailleur handicapé » (…)

J’ai frappé à la porte de CELINE il y a bientôt un an, qui cherchait un directeur de la formation.

J’ai rencontré 7 personnes. 7 personnes à qui j’ai raconté dans les grandes lignes ce que j’avais vécu ces dernières années. 7 personnes qui ont posé un regard admiratif sur mon parcours professionnel et de vie.

Ce poste je l’ai eu.

Je sais que c’est grâce à moi, mais aussi parce que l’humanité sincère existe aujourd’hui au sein de grands groupes comme LVMH. Je le constate chaque jour.

Les préjugés, c’est à moi aussi de les combattre en ne m’exposant pas comme victime de la vie, de mes traumatismes, mais comme un « triomphant » qui a soif de vivre et de transmettre »¹⁰ témoignait publiquement Alexandre Piot, Directeur formation CELINE France & Monaco.




¹ “Le marché des biens de luxe pourrait atteindre 380 milliards d'euros d'ici 2025”, Le Journal du Luxe, 27 juin 2022

² “Rencontre Manuel Mallen, co-fondateur de Courbet, joaillerie éco-conçue”, Opsforgood, 5 février 2021, https://opsforgood.fr/article/manuel-mallen-courbet-joaillerie

³ Rapport LUXURY OUTLOOK 2022 Avancer en pionnier responsable, BCG et Comité Colbert

⁴ “LVMH célèbre les 25 ans de la Direction de l’Environnement”, 17 septembre 2019, https://www.lvmh.fr/actualites-documents/actualites/lvmh-celebre-les-25-ans-direction-lenvironnement/

⁵ LVMH, https://www.lvmh.fr/groupe/identite/valeurs-lvmh/

⁶ Rapport d’impact 2021, Fondation Kering

⁷ Rapport de performance 2021 de la mission 1.5, Chanel

Ibid

⁹ Aura Blockchain consortium, https://auraluxuryblockchain.com/

¹⁰ Post Linkedin Alexandre Piot, 13 novembre 2022, https://www.linkedin.com/in/alexandre-piot-1394bb8a/





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