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Peut-on faire disparaître le « 7e continent » ?

Au nord-est de l’océan Pacifique, entre Hawaï et la Californie, le "7e continent", ou "vortex de plastique", s’étend sur plus d’1,6 million de km2 : le plus important amas de déchets plastiques océaniques au monde, aussi connu sous le nom de « Great Pacific Garbage Patch » (GPGP). Un gigantesque agglutinement de débris visibles (bouteilles, emballages, matériel de pêche…) mais surtout, à plus de 80%, d’une imperceptible soupe de microfragments dispersés et mouvants. Les technologies déployées pour venir à bout n’y feront rien si elles ne sont accompagnées d’une responsabilisation de l’industrie du plastique et d'un changement total de nos habitudes et comportements.

 

Par Marie Rollet



© The Digital Artist

 

Nettoyer le 7e continent : mission impossible ?

 

Eloigné des côtes, difficile d’accès, le nettoyage du GPGP « mettrait en faillite tout pays qui s’y essaierait » projetait déjà Charles Moore[1], premier océanographe à avoir attiré l’attention du monde sur le Great Pacific Garbage Patch en 1997. De fait, les missions d’exploration et d’observation navales et aériennes sont plus nombreuses que les collecteurs de déchets qui s’y aventurent, faute de soutien et de financement notamment. Bien décidée à prendre le problème à bras-le-corps, l’ONG néerlandaise The Ocean Cleanup ambitionne pourtant de réduire de 90% la pollution plastique flottante dans le GPGP d’ici 2040. Son objectif : recueillir ces débris avant qu’ils ne soient dégradés par les éléments jusqu’à devenir ces microplastiques extrêmement difficiles à collecter. Pour l’atteindre : un dispositif innovant conçu comme une « côte artificielle », qui prend la forme d’une barrière de flotteurs de 2500 mètres de long et d’une jupe sous-marine de plusieurs mètres de profondeur. Tirée par des bateaux à chaque extrémité, elle est capable de recueillir des débris à la limite du microplastique.

 

Ses expéditions, très médiatisées, auraient permis de récolter plus de 220 tonnes de plastique du GPGP, annonçait The Ocean Cleanup en avril 2023.[2] Un chiffre encourageant mais encore bien loin des 80 000 tonnes métriques estimées du 7e continent. L’ONG reconnaît qu’il lui faudrait une dizaine de ces collecteurs pour retirer 90% du plastique flottant du GPGP d’ici 2040, là où elle n’en possède qu’un seul aujourd’hui. Sans compter que ce collecteur ne permet ni de recueillir les microplastiques ni n’accéder aux fonds marins, qui abriteraient malgré eux plus de 80% de la pollution plastique des océans.

 

Si elle n’est pas suffisante, la collecte des déchets flottants reste cependant indispensable, même plus près des côtes, et fait l’objet de nombreux projets et innovations. L’association The SeaCleaners a par exemple lancé la construction du Manta, « géant des mers » qui devrait voir le jour en 2025. Il sera déployé sur les zones de fortes concentrations de macrodéchets plastiques (embouchures des grands fleuves, estuaires, côtes) pour les collecter, traiter et valoriser. De son côté, le chalut THOMSEA équipe déjà plusieurs pays européens pour la collecte et le traitement des déchets plastiques. A plus petite échelle encore, le catamaran The Collector de l’association Clean My Sea sillonne le littoral basco-landais avec son tapis roulant collecteur de déchets… et des épuisettes…

 

 

Agir en amont

 

Consciente que près de 80% des déchets arrivant à l’océan sont d’origine côtière, The Ocean Cleanup agit aussi en amont en s’attaquant à la pollution plastique des fleuves et rivières. Elle y déploie un système flottant ressemblant à une péniche équipée d’un filet et d’une benne connectée qui alerte les recycleurs locaux une fois pleine : sur le canal de Cengkareng à Jakarta, sur le fleuve Klang en Malaisie ou encore sur la rivière Ozama en République Dominicaine.

Une démarche qui est aussi celle de la plupart des organisations engagées dans la protection des océans et qui fait l’objet d’innovations constantes. C’est le cas des bateaux de The SeaCleaners, qui font escale dans les rivières, zones côtières et mangroves, des barrières flottantes de Sungai Watch dans les rivières de Bali, ou du rideau de bulles de The Great Bubble Barrier. L’Université de Kota Kinabalu, en Malaisie, travaille quant à elle à un projet de base flottante capable de pomper les déchets des rivières. D’autres interviennent encore plus tôt dans la chaîne de la pollution plastique. C’est le cas dans certains ports avec des robots collecteurs de déchets ou des poubelles flottantes. Plus en amont encore, la ville de Rodez teste l’installation en sortie de buse ou de canalisation du filet anti-macrodéchet Pollustock. Quant au filtre à microplastiques Gulp, il s’installe directement sur les lave-linges.

 


La solution est à terre

 

Mais ces innovations et ces déploiements très médiatisés sont à double tranchant. « Ils sont très utiles pour mettre en lumière ce phénomène et sensibiliser aux enjeux de la pollution plastique des océans, mais ils envoient aussi un mauvais signal : ils laissent à penser que la technologie peut tout réparer et semblent dispenser les individus, les industriels et les gouvernements, d’agir. Or la technologie seule ne nous sauvera pas. » alerte Benjamin de Molliens, éco aventurier et co-fondateur de Plastic Odyssey. Car aussi performants soient-ils amenés à devenir, ces dispositifs ne le seront jamais assez pour faire face à la quantité toujours croissante de plastique déversé dans les rivières et océans chaque année et qui pourrait atteindre 29 millions de tonnes d’ici 2040.[3]

 

La solution ? Prendre le problème à la source, c’est-à-dire à terre. Car aujourd’hui, entre 60 et 80% de la pollution plastique des océans est d’origine terrestre. La priorité doit donc être de réduire la production et la consommation de plastique pour limiter la quantité de déchets potentiels. « Il faut réduire, refuser, remplacer et revaloriser » précise Benjamin de Molliens. « Il faut des contraintes et des normes plus strictes et mieux appliquées, à la fois au niveau national et international, et de nouvelles dispositions comme la taxation du plastique et l’interdiction de certains emballages alimentaires. Il faudra aussi développer des filières de revalorisation des déchets plus performantes. » Nombre de pays ont commencé à encadrer la production et la consommation de plastique, notamment en interdisant les sacs plastiques à usage unique non biodégradables. Des mesures encore trop timides, même si certains vont déjà plus loin comme la République Dominicaine qui a interdit tous les produits en plastique depuis 2019. Ou à plus petite échelle le supermarché Ekoplaz, à Amsterdam, qui a totalement banni le plastique, ou encore la compagnie aérienne portugaise Hi Fly, qui n’utilise plus de plastique à bord de ses avions… 

 

Pour donner un coup d’accélération à ces initiatives locales, la communauté internationale travaille à un traité international contre la pollution plastique, dont la France a accueilli la deuxième session de négociation en mai 2023. Un vrai challenge au vu des divergences persistantes dans les approches et les ambitions des participants en la matière, et des tentatives de certains pour réduire la portée et la force du futur texte. Le Comité intergouvernemental de négociation a toutefois déposé au mois de septembre un premier draft de ce traité, en vue de sa 3e session à Nairobi, au Kenya, du 13 au 19 novembre. « Comme quoi, même en présence des gros pollueurs, on peut bousculer les équilibres géopolitiques et notre modèle économique » se félicite Diane Beaumenay-Joannet, chargée de plaidoyer à Surfrider.

 


Soyons la solution plutôt que le problème

 

« Le plus gros défi sera de changer les imaginaires » rappelle Benjamin de Molliens. « Pour que les lois changent, il faut aussi que la demande vienne du public. Or la question du plastique est un véritable enjeu culturel : dans certaines cultures, il est synonyme de propreté et d’hygiène. Ailleurs, il est signe de richesse…. Il faut donc démystifier, démontrer qu’on peut non seulement se passer du plastique mais aussi en tirer des bénéfices en matière économique, de santé, de bien-être. C’est une question d’acculturation et la sensibilisation sera clé. » C’est la mission que s’est donné l’explorateur à travers ses éco-aventures, mais aussi celle de beaucoup d’autres organisations engagées dans le nettoyage et la protection des océans. Par exemple, les missions Mobula de The SeaCleaners combinent la collecte et la gestion des déchets, la sensibilisation et la formation des communautés locales, l’assistance technique et la recherche scientifique.

 

Il s’agit aussi de mobiliser dès aujourd’hui les générations futures. La Fondation de la Mer et Plastic Odyssey, avec une équipe d’enseignants, ont ainsi créé « Code Océan », une enquête ludo-pédagogique à destination des 8-15 ans. Elle est conçue pour les aider à comprendre d’où vient le plastique des océans, mais aussi à les accompagner dans la formulation de solutions pour contenir la fuite de déchets. Avec l’espoir « daider les jeunes à prendre conscience de leur potentiel à agir pour faire changer les choses. »[4]



 


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