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En route vers le numérique responsable

Le numérique représente 4% des émissions de gaz à effet de serre. Un volume qui pourrait augmenter de 60% à l’horizon 2040 si rien n’est fait d’ici-là. Nombreuses sont les initiatives pour un numérique plus responsable, écologiquement mais aussi socialement. Eco-conception, rationalisation du stockage des données, usage vertueux de l'IA et reconditionnement sont autant de leviers d'actions à notre portée. 

 

Par Alban Wilfert 



Dès l’origine : veiller à l’éco-conception 


80% de l’impact environnemental des appareils numériques (hardware) est issu des phases d’extraction des matériaux et de fabrication.¹ Côté services numériques (software), l’empreinte carbone pourrait tripler entre 2020 et 2050 si aucune action n’était entreprise par l’Etat et les industriels, d’après la secrétaire d’Etat au numérique Marina Ferrari.² L’urgence est donc de veiller à l’éco-conception et à l’impact social du numérique. Une démarche encouragée par l’Arcep et l’Arcom, détaillée dans un référentiel général de l’éco-conception des services numériques publié en mai dernier. Elles appellent tout l’écosystème à s’engager comme le font déjà certaines. Hewlett-Packard exige depuis plusieurs années la transparence de ses fournisseurs quant à leur empreinte carbone et attend d’eux, depuis 2018, des objectifs de réductions d’émissions et un approvisionnement en énergies renouvelables. 

Les clients ont aussi leur rôle à jouer en vérifiant, lors de leurs achats, les conditions de production. Le marché du numérique gagnera aussi en éco-responsabilité et en éthique sous l’effet de l’évolution ou de la pression exercée par la demande. Ainsi, une plus grande prise en compte du numérique éco-responsable (Green IT) ou conçu dans le respect des droits humains (Fair IT) est l’un des objectifs du Clausier Numérique Responsable dévoilé par la French Tech Corporate Community fin mai 2024.³

 Un document qui vient s’ajouter à de précédentes recommandations d’experts, comme les 115 bonnes pratiques de l’éco-conception conseillées par le collectif GreenIT. « De tels critères doivent être pris en compte dans les appels d’offres : il faut sélectionner les prestataires en conséquence et ainsi leur faire comprendre que, désormais, on se pose la question de l’éco-conception. De la sorte, on poussera les uns et les autres à y apporter des réponses collectives », appuie Marie Ait Daoud, Green IT Manager auprès du groupe Vinci. 

L’IA générative, quant à elle, peut faire l’objet d’une utilisation vertueuse au travers d’applications « qui favorisent la durabilité, comme l’optimisation logistique et la maintenance prédictive ».⁴ Une perspective déjà envisagée par des dirigeants d’entreprises, dont 59% estimeraient que l’IA générative va jouer un rôle clé dans la transformation de leur organisation dans le sens de la durabilité. 57% affirment que leur organisation a déjà pris des mesures pour limiter l’impact environnemental de l’IA générative, d’après l’institut de recherche de Capgemini.⁵ L’entreprise parle, en ce sens, d’une « ère éco-digitale », à l’économie digitale et durable. Un futur possible puisque, selon elle, le déploiement des technologies numériques a permis aux entreprises de réduire leur consommation d’énergie de 24% et leurs émissions de gaz à effet de serre de 21% dans les cinq dernières années.

N’oublions pas la dimension sociale qui doit aussi être pensée et intégrée dès l’origine. Des outils comme le PDF Health Check d’Adobe permettent, notamment, de vérifier l’accessibilité de documents PDF aux personnes en situation de handicap. Le Cercle de la donnée et l’Agora 41 proposaient également, fin avril 2024, de soumettre à une autorisation de mise sur le marché les services numériques les plus addictifs, tout en promouvant une éducation au numérique qui prenne en compte l’impact de celui-ci sur la santé et le vivant.

 

De nouveaux comportements nécessaires 

Le passage à un numérique responsable nécessite d’adopter de nouveaux comportements dans l’utilisation de ces services. La marge de progression est grande. 54% des données stockées seraient inutilisées.⁸ Il est donc possible d’en détruire une partie, tout particulièrement lorsqu’elles sont volumineuses et ne présentent pas d’utilité sur le long terme. C’est le cas à la RATP, qui a adopté ces dernières années l’IA pour détecter des événements enregistrés par des caméras de surveillance comme des voyageurs qui oublieraient de descendre au terminus, ou, plus récemment, les différences d’affluence entre plusieurs voitures d’un même train et dont les données n’ont pas vocation à être conservées. « Ces données servent en effet à avertir les voyageurs pour une meilleure expérience dans les transports. Ce sont des données instantanées qui sont supprimées immédiatement après, dans le souci de respecter leur caractère personnel mais aussi de limiter le stockage. » précise Maud Cailly, pilote du programme Numérique responsable à la RATP. En ne stockant que le nécessaire, bien des progrès seraient accomplis. En règle générale, « il faut opérer à un changement de paradigme. Au lieu d’adopter une nouvelle technologie dès qu’elle se présente, il faut penser à l’utilisateur, se poser avant tout la question du besoin de cette technologie, des impacts positifs. C’est une démarche de rationalisation. » explique Marie Ait Daoud. 

Pour Maud Cailly, beaucoup peut également être accompli par la sensibilisation des collaborateurs. « Au vu de l’énergie utilisée par la RATP, les collaborateurs peuvent juger négligeable d’éteindre leur ordinateur chaque soir et chaque week-end. Il faut alors leur faire savoir que, si chacun d’entre eux le fait, cela représentera une économie équivalente à un mois de consommation de la ligne 1. Employer des échelles qui leur parlent, cela a de l’impact. Nous le mesurons régulièrement avec une grande implication des collaborateurs dans notre démarche », ajoute-t-elle. 

Pour mobiliser, convaincre et engager, des indicateurs sont en effet nécessaires. En mai dernier, l’IRT SystemX lançait en ce sens le projet Impact Environnemental du Numérique (IEN) avec l’ambition de parvenir à une méthodologie de calcul vérifiable, généralisable et consensuelle des gains et coûts environnementaux des activités des entreprises et organisations. Et l’Institut d’expliquer : « Cette méthodologie oeuvre ainsi à la définition de règles de comptabilisation des impacts environnementaux des composants physiques sur toutes les phases du cycle de vie, mais aussi à la mise au point d’un outil d’aide à la décision sur les choix technologiques et le traitement des données, et au partage d’un guide de diagnostic systémique de l’impact environnemental. » Une initiative qui n’est pas sans rappeler le rôle clé de la gouvernance pour faire concrètement évoluer les choses. Un volet majeur porté par Romuald Ribault, vice-président de l’Alliance Green IT. L’emploi d’un chargé de RSE ou d’un responsable GreenIT au sein du ComEx représente, selon lui, la possibilité d’obtenir « 85% de bonnes pratiques en plus, notamment sur le champ de la sensibilisation et de la montée en compétence sur le sujet ». 

Les acteurs publics et associatifs ont également leur rôle à jouer. La région Nouvelle-Aquitaine compte désormais des « ambassadeurs numérique responsable » pour accompagner les entreprises, créer un réseau pour échanger sur les bonnes pratiques en la matière, ou encore favoriser les prêts et dons de matériels. 

 

Anticiper et planifier les fins de vie 

Les cycles de vie des matériels et des systèmes numériques ont une fin. Il est donc essentiel d’intégrer cet impact dans la démarche globale pour qu’il soit lui aussi le plus positif possible. La fin de vie des sites web peut être anticipée et prise en main, au moyen d’une stratégie de fin de vie des contenus et d’un plan de fin de vie du site. 

Côté hardware, la fin de vie peut s’avérer non seulement éco-responsable, mais aussi vertueuse. En premier lieu, elle peut être retardée. Des formations relatives à l’entretien des équipements peuvent être dispensées dans l’entreprise, mettant en exergue l’impact économique positif que cela génère en diminuant la fréquence de renouvellement des achats  notamment. Le reconditionnement gagne aussi en importance, souligne Romuald Ribault : « Avec la loi AGEC, l’activité du reconditionnement et du recyclage montent en compétence, on observe un passage de l’artisanat à l’industrie, avec des référentiels, des regroupements d’acteurs pour veiller à l’homogénéisation. Une véritable filière, relevant de l’économie sociale et solidaire, est en train de naître, c’est une forme de mutualisation. Cela permet aux PME un accès à un gisement de produits reconditionnés de meilleure qualité, tandis que les collectivités publiques doivent déjà acheter au moins 20% de leur équipement en reconditionné ». 

Si le numérique possède de nombreuses externalités positives, ce sont surtout nos usages qui doivent être aujourd’hui repensés pour que le numérique responsable, durable et inclusif, devient une réalité. Nous avons le pouvoir d’agir, rappelle Matthieu Bourgeois, avocat et vice-président du Cercle de la Donnée : « on a complètement construit le numérique donc on peut en changer la trajectoire. C’est nous, non le numérique, qui sommes maîtres du jeu. »¹⁰


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