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Humanitaire et photographie : mobiliser et sensibiliser à l’heure de la permacrise

Le Lieu Unique de Nantes accueille 600 images issues des collections de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans le cadre de l’exposition « Un monde à guérir ». L’occasion de revenir sur l’histoire de la photographie humanitaire mais aussi sur ses significations et ses finalités.


© Freepik


Des esthétiques évolutives au service de différentes motivations

Dès son apparition dans les années 1860, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a fait usage de la photographie avec, à ce jour, plus d’un million d’images d’archives.

Les premiers sujets, infirmières et travailleurs humanitaires de la guerre de Sécession, furent immortalisés pour témoigner de la présence de l’organisation sur le terrain. Peu à peu, ils laissent place aux personnes aidées, victimes de guerres et de catastrophes, à des fins de sensibilisation. C’est dans cette optique que le CICR recourt, dès les années 1950, à la collaboration de l’agence Magnum et de grands noms de la photographie. Robert Capa, Henri Cartier-Bresson ou Sebastiao Salgado développent une esthétique compassionnelle mise au service de levées de fonds. Un procédé encore fréquemment employé, comme en 2015 où la photo d’un réfugié syrien vendant des stylos dans une rue de Beyrouth en tenant sa fille endormie dans ses bras a permis de collecter 191 000 dollars, réinvestis par ce réfugié dans la création d’entreprises.¹

Mais aujourd’hui, « les images des crises, les images des conflits, les images des catastrophes naturelles, on en voit tous les jours dans nos médias », à tel point que, « dans le flux médiatique, on passe rapidement à autre chose »,² constate Pascal Hufschmidt, directeur du Musée international de la Croix-Rouge. D’où l’intérêt d’une rétrospective photographique à même de nous faire « mieux regarder ces images » et leurs codes.


Nouveaux visages de la photographie humanitaire


Avec les années, la focale tend à passer des massacres aux victimes, individualisées, de conflits ou de catastrophes. Ainsi, émergent des artistes capturant moins le moment de crise que ses conséquences et ses suites. Federico Rios Escobar a réalisé un photoreportage auprès de migrants traversant la région du Darién, à la frontière entre Colombie et Panama, pour atteindre les Etats-Unis. Récompensé en 2023 du Visa d’Or humanitaire du CICR, le photographe s’est dit « heureux et fier » que celui-ci permette de « témoigner des tragédies qui se déroulent dans cette région ».³

Alexis Cordesse renouvelle le thème en s’intéressant à des réfugiés syriens installés à l’étranger. En saisissant des événements familiaux ou des moments de fête, des vestiges de « leur vie d’avant », le photographe veut favoriser l’« identification » en prenant le contrepied des « images d’horreur » qui « éloignent et déshumanisent ».⁴

Une approche partagée par Fatimah Hossaini, artiste qui a fui Kaboul en 2021, animée par la volonté de montrer « quelque chose de différent concernant les femmes afghanes », ses sujets photographiques, qui sont « bien plus que de simples victimes : elles sont si fortes, si résilientes, et ont tant accompli dans les vingt dernières années ».⁵


La photographie humanitaire : un récit fragmentaire


Une image humanitaire est le résultat d’un cadrage, en-dehors duquel tout est hors-champ. L’essor de ce type de photographie est allé de pair avec celui du photojournalisme, mais elle s’en distingue par son caractère nécessairement fragmentaire : « Nous sommes dans un récit, pas dans la réalité objective », rappelle Pascal Hufschmidt.⁶

La photographie immortalisant un instant ne dit que peu de choses de la vie globale de son sujet. Victime-écran symbolisant la cause humanitaire, elle ne permet pas de revenir sur son histoire ou sur le contexte. Pris par un travailleur humanitaire ou un photographe occidental, cet instantané peut aussi être porteur de biais culturels.⁷

Les limites de la photographie humanitaire que l’exposition « Un monde à guérir » interroge en appelant à un recul critique, à la prise en compte du contexte de fabrication et de la réalisation même de l’image. Pareille invitation à la réflexion témoigne que la photographie humanitaire peut avoir une autre portée que la mobilisation.




 Amélie Rives (propos recueillis par), « Fatimah Hossaini - Finding beauty and resilience through war and exile », Impact for the Future, n° 3, novembre 2023, pp. 49-50

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