L’intelligence artificielle : un nouvel outil pour lutter contre la pauvreté ?
- camilleleveille8
- 29 avr.
- 5 min de lecture
Dans un monde où plus de 700 millions de personnes vivent encore avec moins de 2 dollars par jour, la question de la pauvreté reste un enjeu central pour les gouvernements, les ONG, les entreprises et les institutions internationales. Si les réponses traditionnelles – aides financières, programmes d’éducation, accès à la santé – restent essentielles, une nouvelle alliée entre en scène : l’intelligence artificielle (IA). Elle pourrait permettre de mieux détecter, anticiper et réduire la pauvreté, parfois de manière plus ciblée, efficace et rapide que les approches classiques. Alors comment cette technologie peut-elle concrètement aider à réduire la pauvreté ? Quels sont les outils déjà utilisés, les acteurs engagés, et les projets prometteurs ? Décryptage.

Trio technologique pour multi-impacts
L’IA repose sur l’analyse de données massives (le big data), la reconnaissance de modèles et l’automatisation. Un trio technologique qui peut permettre d’agir dans plusieurs dimensions : cartographier la pauvreté en temps réel, cibler efficacement les aides sociales, faciliter l’inclusion financière, améliorer l'accès à l'éducation et à la santé ou encore optimiser les politiques publiques. Des chercheurs de Stanford ont entrainé une IA capable d’analyser des images satellites pour détecter les zones de grande pauvreté en Afrique, en croisant la luminosité nocturne, la densité des logements et la qualité des infrastructures. Dirigée par Marshall Burke, David Lobell et Stefano Ermon, l’étude publiée en 2020 a testé le modèle sur près de 20 000 villages dans 23 pays africains.¹ Une démarche qui permet aux gouvernements et ONG d’intervenir plus rapidement dans les zones les plus urgentes, en réduisant les coûts des recensements. Pendant la pandémie, le Togo a collaboré avec l’ONG GiveDirectly pour envoyer de l’argent directement via mobile money aux familles en difficulté. L’IA a identifié les bénéficiaires en analysant des données de téléphonie mobile, d'électricité et de géolocalisation. Résultat : des aides mieux ciblées, plus vite pour près de 30 000 familles. Les fintech prennent aussi leur part. Tala ou Jumo utilisent l’IA pour octroyer des microcrédits à des populations non bancarisées. Comment ? En évaluant la solvabilité à partir du comportement mobile (appels, dépenses, recharges…). Une avancée importante pour briser le cercle de l’exclusion économique. Fondée au Kenya, Tala a déjà accompagné plus de 10 millions de clients dans des pays comme le Kenya, les Philippines, le Mexique et l'Inde, en accordant plus de 6 milliards de dollars en crédits.² L’éducation n’est pas oubliée. Des plateformes comme M-Shule (Kenya) exploitent l’IA pour offrir un apprentissage personnalisé aux enfants des zones rurales. Signifiant "école mobile" en swahili, elle est la première plateforme africaine d'apprentissage adaptatif par SMS utilisant l'IA pour fournir des cours personnalisés en mathématiques, anglais et kiswahili aux élèves des classes primaires, sans nécessairement posséder un smartphone.³ Les contenus s’adaptent en fonction des performances de l’élève. Depuis son lancement, M-Shule a accompagné plus de 45 000 apprenants au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, avec des améliorations de 7 à 20 % des résultats scolaires. La plateforme est disponible en sept langues locales, facilitant de fait l'inclusion des communautés marginalisées.
Des projets mondiaux d’envergure
Lancé par l’Union internationale des télécommunications (UIT) — AI for Good, sommet mondial qui vise à orienter le développement de l’intelligence artificielle vers la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD) réunit chaque année des chercheurs, gouvernements, ONG, start-up et grandes entreprises autour de cas d’usage concrets de l’IA pour améliorer la santé, l’éducation, l’agriculture, la justice, l’accès à l’eau ou encore la résilience climatique. En 2023, Ultrasound AI, lauréat du concours Innovation Factory 2023, a développé une plateforme d’IA pour détecter les risques de naissances prématurées, contribuant à améliorer les soins prénatals.⁴ Un système d’alerte précoce contre la déforestation, conçu par Deloitte et le WWF, a quant à lui réduit le temps de traitement des données de 12 à 4 heures, facilitant la préservation des forêts tropicales en Malaisie, au Gabon et au Suriname.
Le AI Poverty Challenge, initiative mondiale lancée par Microsoft et Data.org, a pour objectif de financer et accompagner des solutions IA à impact social. Parmi les projets soutenus : des modèles prédictifs d’accès à la nourriture, des outils d’aide à la décision pour des ONG distribuant des aides d’urgence ou encore une IA pour optimiser les subventions agricoles en Afrique de l’Est. Parmi eux Farmer.Chat, un chatbot IA déployé dans quatre pays, qui a répondu à plus de 300 000 questions de 15 000 agriculteurs, leur fournissant des conseils personnalisés sur les cultures, les maladies et la gestion des ressources.⁵
La FAO, le PAM (Programme Alimentaire Mondial) ou le FMI développent des modèles prédictifs permettant d’anticiper des crises humanitaires liées à la sécheresse, l’instabilité économique ou les conflits. Parmi les cas d’usages : la prédiction des pénuries alimentaires avec l’IA combinant données agricoles, climatiques et socio-économiques ; la simulation des effets économiques d’une guerre ou d’un choc climatique pour orienter les aides à l’avance ou encore l'alerte précoce de famines ou migrations climatiques. Sont ainsi nés le projet HungerMap Live, une carte dynamique pilotée par IA pour surveiller en temps réel la faim dans plus de 90 pays. Elle combine données terrain, statistiques officielles et données de téléphonie mobile pour prévoir les zones de crise.⁶ En 2022, ces outils ont permis d’éviter une crise alimentaire majeure au Sud-Soudan en prévoyant une sécheresse prolongée et en lançant une campagne de distribution ciblée 45 jours avant la famine prévue. Ou encore Famine Action Mechanism, une plateforme IA pour prédire les famines dans des pays à haut risque (Somalie, Éthiopie, Yémen…). Elle permet notamment de débloquer des financements automatiques dès que certains seuils de risque sont franchis.⁷
Aller plus loin
En 2018, Google.org a commencé à financer des projets d'IA ayant pour vocation de générer un impact social positif. Développement de capteurs atmosphériques à faible coût fixés sur des motos-taxis en Ouganda, création d'applications optimisées par l'IA qui permettent aux agriculteurs en Inde de réduire les dégâts causés par les nuisibles sur les cultures et d'augmenter leurs rendements ont été soutenus. La surveillance par satellite optimisée par l’IA afin de suivre les émissions de gaz à effet de serre dans le monde a été financé. « Selon nos bénéficiaires, l'IA leur permet d'atteindre leurs objectifs trois fois plus rapidement, pour un coût divisé par deux. » déclare google.org qui s’est engagé à investir 25 millions de dollars supplémentaires dans des projets qui ont précisément pour but d'utiliser l'IA afin d'atteindre plus rapidement un ou plusieurs des ODD des Nations Unies. Les projets sélectionnés visent à résoudre des problèmes tels que la pauvreté, la faim et l'accès à l’éducation.⁸
Si à l’origine l’éradication de l’extrême pauvreté était prévue pour 2030 dans le premier ODD force est de constater que l’objectif ne sera pas atteint. Toutefois, ne perdons pas espoir, cet idéal pourrait bien être atteint en 2050 si l’on en croit une étude du Center for Global Development. « Il est probable que les inégalités subsisteront et que la pauvreté continuera d’exister, mais une croissance plus forte devrait permettre à la plupart des personnes d’avoir un emploi et des revenus stables plutôt que de dépendre d’un travail informel précaire ou d’une agriculture de subsistance », explique Charles Kenny, l’un des auteurs du rapport dans les colonnes de The Guardian. L’IA pourrait bien être le game changer - à condition toutefois d’être encadrée, éthique, inclusive - à même de renforcer cet espoir et pourquoi pas réduire l’échéance annoncée de 2050 pour que la pauvreté, ne soit plus.