“Je crois que ce qui est bon pour notre planète doit être bon pour nos populations, nos régions et notre économie. Nous assurerons une transition juste pour tous”, promettait Ursula von der Leyen en 2019 en présentant les grandes orientations qui allaient guider son mandat. « Juste », c’est-à-dire qui (ré) concilie impératifs écologiques et sociaux. Puisqu’inégalités et crise écologique se nourrissent mutuellement, la lutte contre le changement climatique et pour la justice sociale ne doivent être qu’un seul et même combat.
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Deux facettes d’une même crise
Les répercussions sociales et sociétales du changement climatique engendrent des inégalités géographiques majeures. En 2022, Oxfam listait ainsi la Somalie, Haïti, Djibouti, le Kenya, le Niger, l’Afghanistan, le Guatemala, Madagascar, le Burkina Faso et le Zimbabwe dans un triste top 10. La Banque mondiale alertait sur le risque de voir 140 millions de réfugiés climatiques fuir, d’ici 2050, les pénuries d’eau ou de nourriture, la montée des eaux ou encore les sécheresses dans ces régions. L’agriculture et la pêche sont particulièrement touchées par les effets du dérèglement climatique. En témoignent des épisodes répétés de récoltes particulièrement faibles depuis quelques années, notamment de blé. Résultat : l’insécurité alimentaire progresse et prend même des allures de crise planétaire depuis 2022 dans un contexte géopolitique tendu. Sans compter des pertes de revenus dans les secteurs concernés qui nourrissent les inégalités sociales. « Les plus précaires seront les plus affectés car ils ont une moindre capacité de résilience et d’adaptation. Or ces phénomènes obligent par exemple à changer d’habitat, de mode de vie, etc. Les populations qui étaient déjà sur le fil risquent de tomber dans la pauvreté. » s’inquiète Daphnée Chamard-Teirlinck, Responsable Mobilité inclusive et durable et Transition Ecologique Juste au Secours Catholique.
Ces inégalités révèlent autant d’injustices : 80% des émissions de gaz à effet de serre (GES) seraient produites par 10% seulement des pays et individus, mais affectent plus sévèrement et plus durablement des régions et populations beaucoup moins émettrices. Ainsi, l’Afrique représenterait environ 4% des émissions mondiales de GES mais est et continuera d’être en première ligne de l’exposition au changement climatique, notamment au stress hydrique. En cause également, certaines pratiques industrielles et commerciales qui exercent une pression supplémentaire sur les ressources et les populations. « En Amérique Latine par exemple, où la déforestation massive se traduit par l’accaparement des terres des populations autochtones et le non-respect des droits humains. Ou en Afrique, où les projets de puis carbone se développent au détriment des populations, dont les terres sont confisquées contre des indemnisations bien insuffisantes. » précise Daphnée Chamard Teirlinck.
A crise systémique, réponse intégrée
L’objectif de l’association Convergences, incarné par son mot d’ordre « 3Zéro » : Zéro Exclusion, Zéro Carbone et Zéro Pauvreté répond aux 3 enjeux inséparables « Ils ne peuvent pas, ne doivent pas être hiérarchisés. » rappelle Fanny Roussey, Directrice Executive de Convergences. Créée en 2008 pour améliorer la coordination entre les acteurs de l’aide internationale et faciliter le dialogue avec les autres parties prenantes, le mandat de l’association embrasse désormais les Objectifs de Développement Durable de l’ONU (ODD) qui « reconnaissent que mettre fin à la pauvreté doit aller de pair avec des stratégies qui développent la croissance économique et répondent à une série de besoins sociaux, notamment l’éducation, la santé, la protection sociale et les possibilités d’emploi, tout en luttant contre le changement climatique et la protection de l’environnement. » Sa mission ? « Favoriser le dialogue et la co-construction de partenariats innovants à fort impact sociétal, identifier des initiatives à haut potentiel d’impact, leur donner visibilité et les aider dans la recherche de leviers leur permettant de passer à l’échelle. Des groupes de travail thématiques consacrés à la réflexion collective et au partage d’expérience autour de l’Agenda 2030 et de l’ambition d’un monde 3Zéro abordent les enjeux liés à l’environnement, la réduction des inégalités, la mesure d’impact, ou l’évolution des modèles économiques et financiers. » précise Fanny Roussey.
Point d’orgue de ces travaux, le Forum annuel « 3Zéro » dont la prochaine édition aura lieu le 5 septembre 2023. A mi-parcours de l’Agenda 2030, les défis qui restent à relever pour avancer vers une transition juste sont nombreux : faciliter l’accès à l’énergie, lutter contre les stéréotypes de genre, impliquer les territoires, inclure la jeunesse... Ces questions appellent d’abord des réponses locales, concrètes et immédiates : construire des partenariats, développer des outils et méthodologies de mesure d’impact, multiplier les « contrats à impact » public-privés, qui permettent le changement d’échelle de solutions identifiées sur le terrain comme innovants et efficace, ou encore favoriser le développement des entreprise à mission… Mais à long terme l’objectif est bien le renouvellement des modèles économiques et sociaux, et il nécessitera d’agir à 3 niveaux : individuel, collectif et politique.
Renouveler les modèles économiques et sociaux
Chacun peut et doit bien sûr agir à sa mesure, mais ces efforts devront s’accompagner de changements structurels. « Le baromètre de l’entreprenariat social édité par Convergences montre que les citoyens considèrent que l’Etat garde la plus grande responsabilité dans la lutte contre les dérèglements climatiques et pour accélérer la transition. » indique sa Directrice. Le sondage Opinion Way mené pour cette enquête constate en effet « une forte attente des Français·e·s envers les pouvoirs publics, qui sont identifiés par 33% des sondé·e·s comme étant l’acteur le plus innovant pour résoudre les problèmes sociaux et environnementaux.» Une responsabilité proportionnelle à l’impact de chacun... Il appartient donc aux pouvoirs publiques de mettre en place des mesures et cadres règlementaires pour favoriser ces transitions, par exemple pour inciter les entreprises, mais aussi des politiques publiques inclusives qui décloisonnent les enjeux sanitaires, sociaux et environnementaux. Tout l’enjeu étant notamment d’éviter des politiques « écologiques » trop abruptes menées au détriment des individus, notamment des plus vulnérables. Le Secours Catholique se mobilise et proposait en 2022 une série de recommandations « pour des métropoles et des agglomérations à faibles émissions et à forte accessibilité ». L’objectif est d’éviter que les ZFE ne viennent « renforcer les difficultés des plus précaires (isolement, exclusion, dépenses supplémentaires) et créer des territoires à deux vitesses » mais qu’elles permettent au contraire de « faire de la transition écologique une opportunité pour réduire les inégalités et renforcer la cohésion sociale territoriale. » Deuxième champs d’action : l’alimentation « Seules des solutions structurelles permettront de répondre au double défi de rendre accessible au plus grand nombre une alimentation saine et durable. » indique Daphné Chamard Teirlinck. Et de poursuivre : « Ce qui implique de garantir au plus grand nombre les moyens financiers, notamment par l'instauration d'un revenu minimum décent pour les personnes privées d'emploi, ou de mettre en place des structures de gouvernance locales destinées à développer un système alimentaire plus juste et plus écologique. » Enfin, la précarité énergétique reste la principale cause de demande d’aides au Secours Catholique. « La rénovation globale et performante des logements reste la seule solution durable et efficace. » rappelle Daphné Chamard Teirlinck. Mais malgré de réelles avancées législatives et stratégiques et la mise en place de dispositifs financiers dédiés, les montants mobilisés restent insuffisants et les démarches techniques et financières restent un frein pour les plus précaires. En avril 2022, l’association a ainsi demandé au gouvernement de permettre aux foyers les plus modestes de rénover leur logement pour 1 € symbolique. Pour multiplier les initiatives destinée à lutter contre le changement climatique sans laisser sur le bord de la route les plus vulnérables, le Secours Catholique a lancé en début d’année et dans 18 pays un programme de « transition écologique juste » avec le cofinancement de l’Agence française de développement.
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