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Le lent combat pour l’égalité de genre dans le secteur numérique

Le numérique reste un secteur fortement genré et inégalitaire, sur le plan économique comme sur celui des représentations. Des initiatives visant à y valoriser l’égalité de genre, qui sont autant un palliatif du problème qu’un révélateur de celui-ci, font lentement bouger les lignes.



Les inégalités de genre dans le secteur numérique : un problème systémique et autogène


« Un monde fait par et pour les hommes ».¹ Remis le 7 novembre 2023, le rapport du Haut Commissariat à l’Egalité (HCE) intitulé « La Femme Invisible dans le numérique : le cercle vicieux du sexisme » démontrait le caractère systémique des inégalités dans ce secteur d’une manière inédite, en faisant dialoguer les représentations des femmes sur internet et leur place dans cette économie.

Relevant que les femmes sont insuffisamment formées et recrutées dans les métiers et « invisibilisées, caricaturées ou agressées » dans les images et vidéos qui les montrent, le HCE atteste d’un lien persistant entre contenant et contenu. Il observe notamment que les réseaux sociaux véhiculent des stéréotypes féminins, à raison notamment de 51 % des publications Instagram, ce que les algorithmes tendent à reproduire.²

« Seulement 8% des contenus sur YouTube sont créés pour des femmes. Les stéréotypes continuent donc d’inonder le monde numérique. Un univers où la jeune génération est massivement présente » rappelle Elisabeth Moreno, ancienne ministre pour l’égalité hommes-femmes, présidente de la fondation Femmes@numérique et fondatrice de la Puissance du lien et d’ajouter « rappelons-nous les biais sexistes trouvés dans les algorithmes de Meta dans le ciblage des audiences pour des offres d’emploi en 2023. 92% des femmes ont été ciblées pour l’annonce du poste de secrétaire et 94% pour celle relative au poste d’auxiliaire petite enfance. De l’autre côté, les personnes visées par Facebook pour l’annonce d’un poste de pilote de ligne étaient à 85% des hommes. Le réseau social a également ciblé à 68% des hommes pour celle de responsable d’une structure informatique. Réitéré en avril 2023, ce test avait montré les mêmes résultats que le premier, quelques mois plus tôt. La présence des filles, toutes formations numériques confondues, progresse à peine de 1% par an. A ce rythme, la parité ne sera atteinte qu’en 2070. Il est urgent de faire bouger les lignes. »

De fait, on observe dans le même temps une tech largement dominée par les hommes : les femmes y représentent 26,09 % des effectifs³ et seules 4 % des start-up seraient fondées par des femmes en France, et 12 % par des équipes mixtes.⁴ Pareille disproportion favorise le développement, dans ce secteur, d’une culture sexiste, qui contribue à dissuader les femmes d’y faire leur entrée. Moins prises au sérieux par les banques, les femmes ne peuvent financer leurs start-up autant que les hommes : la valorisation médiane de ces entreprises est de 4 millions de dollars, pour 14 millions pour celles fondées par des hommes.⁵ Ainsi se renforce l’entre-soi masculin, en un cercle vicieux, dans un secteur de l’économie qui connaît une forte expansion.


Briser le cercle vicieux


Publiques comme privées, les initiatives visant à valoriser les études, carrières et reconversions de femmes dans le milieu numérique ne sont pas rares.

En 2015, le gouvernement français créait, avec la Grande Ecole du numérique, une plateforme de formation professionnelle composée d’acteurs publics et privés, afin de favoriser la promotion et la formation des métiers du numérique, avec une attention particulière apportée à la féminisation. Deux ans plus tard, un plan sectoriel visant à favoriser la mixité dans le numérique était lancée.⁶ Malgré les ambitions, les progrès semblent insuffisants. Plus récemment, le programme Les Cadettes de la Cyber était lancé dans la droite ligne du Pôle d’excellence cyber, pour parrainer des jeunes femmes à travers des carrières dans la cybersécurité et la cyberdéfense.

Associations et organisations internationales vont dans le même sens. La Fondation Femmes@numérique a ainsi initié, le 16 février 2023, les premières assises nationales de la féminisation des métiers et filières numériques, auxquelles participèrent bien des acteurs des entreprises et formations de la tech, tandis que Women in Tech tenait en mai suivant sa conférence globale à Paris.⁷ « La réponse doit être collective. L’ensemble de la société doit lutter contre ce problème d’inégalités car ce dernier est systémique. Cela passe par l’éducation à la maison, et doit se poursuivre à l’école. Les parents doivent être informés et sensibilisés tout comme les professeurs doivent être formés. Le monde de l’entreprise doit aussi évoluer. Cela passe et passera par des contraintes, notamment réglementaires, sans cela rien ne changera. Nous sommes face à un changement civilisationnel. Cette posture est vieille de 2000 ans, cela va donc prendre du temps, mais nous devons mener ce combat jusqu’au bout et rester vigilants car trop d’exemples nous montrent encore que les droits des femmes ne sont malheureusement jamais acquis. » déclare Elisabeth Moreno et de poursuivre « Plusieurs régions académiques s’engagent pour agir dès le plus jeune âge. Une forte mobilisation des entreprises du numérique est attendue cette année afin d’accueillir des élèves en journée découverte métiers, en stage de 3e et de seconde. La visibilité de plus de 100 femmes du secteur est accentuée avec l’initiative #WomenInTechForFutur portée par Numeum et CCIP Ile de France en partenariat avec Femmes@Numérique, etc. »

Des entités comme DesCodeuses, proposant à des femmes issues des quartiers populaires des formations aux métiers du numérique, ont également vu le jour ces dernières années.⁸

De même, des concours encourageant les entrepreneuses à l’innovation tout en favorisant l’accès à des financements sont organisés. Les Coups de Coeur #FemmesduNumérique, proposés chaque année depuis 2019 par La Poste Groupe et cent partenaires, apportent chaque année 2000 euros à une participante dans chaque région, une récompense doublée pour la lauréate nationale. Ainsi, en 2022, a été primée StandMeApp, application de coaching pour patients en traitement de cancer et en post-traitement.⁹

Sans oublier des initiatives entendant faire évoluer les mentalités et lutter contre le syndrome de l’imposteur. Sont ainsi mises en valeur, par les photographies du collectif « Quelques femmes du numérique » ou les podcasts « La Cerise dans le Labo ! » du CEA, des femmes travaillant dans le secteur numérique ou scientifique.¹⁰


Beaucoup reste à faire


Malgré ces diverses démarches, la France reste à la traîne. La proportion de femmes parmi les personnes diplômées du numérique a finalement atteint le niveau de celle de l’UE - 17 % - en 2020, mais leur part dans les effectifs de l’industrie manufacturière de haute et moyenne technologie accuse une baisse de 14% entre 2011 et 2019 tandis que, dans l’UE, celle-ci augmentait de 13%. Le pays compte 32% de femmes diplômées dans les STIM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) contre 43% pour l’Inde, selon la Banque mondiale.¹¹

Au-delà d’actions de l’Etat comme la diffusion, à l’automne 2023, d’une campagne vidéo gouvernementale intitulée « On a toutes une tête à travailler dans la tech »,¹² le HCE préconise donc de « passer à l’échelle les initiatives existantes ». ¹³ Ce, par l’imposition de quotas de femmes dans les filières numériques, les comités d’investissement et de direction ou les jurys d’admission, et par le soutien financier aux études et aux reconversions dans le secteur numérique. « Les quotas sont essentiels. La Loi Copé-Zimmermann a fait évoluer la situation. Pour autant, 25% d’écart salarial est toujours constaté entre les hommes et les femmes à compétences égales. Les lois existent, il ne s’agit donc pas d’en ériger de nouvelles. Mais bien de s’assurer que celles existantes sont appliquées. » soutient Elisabeth Moreno.

Dans quelques jours, aura lieu la 2e session des Assises nationales. « Entreprises, associations, pouvoirs publics et acteurs de terrain, réseaux et services publics de l’emploi, nous avancerons concrètement vers la féminisation de la Tech, un levier indispensable de l’égalité professionnelle.

Le chemin peut sembler encore long mais notre détermination est nourrie par l’engagement sans faille de nos partenaires qui mènent à nos côtés des actions concertées. Nous appelons les entreprises, associations, acteurs territoriaux à s’engager en nombre pour démultiplier l’impact de nos actions. » déclare Elisabeth Moreno. Elle nous donne également rendez-vous les 8 et 9 mars pour deux journées exceptionnelles autour de la puissance du lien « Unis. Nous le serons. Pour que femme soit plus qu’un statut. De nombreux sujets seront abordés : entrepreunariat, culture, santé, sport… Dans un esprit de solidarité, nous allons de l'avant, en valorisant le rôle crucial que chaque femme, à l'égal de l'homme, joue dans l'équilibre et la prospérité de notre société. Une journée représentative de la France telle qu’elle est véritablement. » 





²Ibid, p.9

⁷Ibid, p. 42

⁸Ibid

¹¹Ibid., p. 45, p. 46

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