Il y a urgence à agir pour atteindre l’objectif d’une limitation à +1,5° C fixé par l’Accord de Paris. Un chiffre qui suppose de parvenir à la neutralité carbone des entreprises. A cette fin, la Commission européenne a adopté fin 2021 la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), et son système de normes communes en termes de reporting non financier, les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards, ou normes européennes d’informations de durabilité). Zoom sur la norme ESRS-E1, portant sur les plans de transition climatique des entreprises, dont l’application en France depuis le 1er janvier 2024 pose déjà des défis.
Par Alban Wilfert
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Objectif neutralité carbone : les entreprises en première ligne
Les entreprises, au cœur des activités humaines polluantes, ont fort à faire pour préserver le climat. A l'échelle planétaire, parvenir à la neutralité carbone planétaire implique une réduction de 42 % à 50 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) entre 2019 et 2030 en valeur absolue, et de 90 à 95 % pour les seules entreprises. En particulier, le secteur de l’énergie devra réduire ses émissions de méthane, bien plus polluant que le CO2, de 63 % par rapport à 2020. En 2022, un groupe d’experts de l’ONU alertait sur le fait que les émissions se dirigeaient au contraire vers une hausse de 11 % en 2030.
Au coeur d’un corpus de 12 normes, la norme ESRS-E1, relative au changement climatique prévoit que les grandes entreprises européennes, les sociétés côtées sur les marchés réglementés de l’Union, hors micro-entreprises et certaines entreprises non-européennes, rendent compte chaque année de leurs mesures concrètes de décarbonation. Des plans de transition climatique désormais obligatoires à l'échelle européenne, qui viendront harmoniser des législations hétérogènes dans les pays membres. Car seuls la France, l'Italie et l’Espagne avaient alors jusque-là imposé de telles mesures à leurs entreprises.
La planification et la transparence
La norme ESRS E1 définit pour la première fois un cadre réglementaire holistique, à l’échelle européenne, sur les attentes de transparence concernant les plans de transition climatique. Les sanctions encourues pour les entreprises concernées qui ne s’y plieraient pas consistent, selon les cas, en l’exclusion à discrétion des marchés publics et des contrats de concession ou en une amende ou peine de prison pour le dirigeant.
Les informations à fournir en matière de durabilité doivent permettre une compréhension d’ensemble de la stratégie des entreprises en termes de transition climatique. Sont concernés la gouvernance, l’évolution de la stratégie de l’entreprise, l’identification de leviers de décarbonation, un suivi sur l’exécution du plan, ou encore la mobilisation des financements dédiés. Entre autres, sont attendues des informations sur les moyens financiers, en termes de dépenses opérationnelles (OpEx) comme d’investissement (CapEx).
Dans la lignée du Greenhouse Gas Protocol de 2001, les ESRS distinguent ainsi des « scopes » d’émissions de GES. Le scope 1 consiste en les émissions directes provenant de sources appartenant à l’entreprise, le scope 2 inclut les émissions indirectes, provenant de la production d’électricité, chaleur et froid acquis et utilisés par l’entreprise, et un scope 3 comptabilise les émissions produites dans la chaîne de valeur de l’entreprise. Une distinction qui a son importance : 97 % des émissions totales des entreprises financières sont liées aux activités qu’elles financent, aussi leur transition implique-t-elle avant tout de prêter attention à celles-ci, et donc de repenser assez largement leur travail. C’est ainsi que, dès octobre 2021, la Banque Postale annonçait ne plus financer de projets liés au pétrole et au gaz naturel.
Plus largement, la part des sociétés cotées affichant des objectifs « zéro net » a plus que doublé entre début 2021 et mi-2023, passant de 417 à 929. Parmi elles, l’assureur Aviva et la société de gestion d’actifs Robeco. Dans le secteur de l’énergie, le groupe EDF indiquait en 2022 viser une réduction de 50 % de ses émissions entre 2017 et 2030, dont 16 % par la fermeture des centrales électriques à charbon. Ces entreprises, parmi beaucoup d’autres, devront désormais rendre compte de leur démarche à la fin de chaque exercice comptable. Non sans difficulté puisque nombre d’entre elles sont trop mal équipées pour se conformer aux normes ESRS, leurs fonctions RSE — lorsqu’elles existent — étant imparfaitement intégrées à leurs organes de direction. Des dépenses d’embauche et de formation sont donc à prévoir.
Du court au long terme
Cette régularité et ce chiffrage imposeront la déclinaison des objectifs de décarbonation en planifications à court et moyen termes.
D’après un rapport publié par les ONG NewClimate Institute et Carbon Market Watch en février 2023, nombreuses sont les multinationales dont les plans ne se déclinent pas en actes suffisants. Non seulement le bilan à date s’avérait loin des objectifs, mais plusieurs d’entre elles prévoyaient de compenser leurs émissions de GES entre 23 % et 45 % en plantant des arbres ou en stockant le CO2 émis plutôt qu’en les réduisant effectivement. Ces sociétés pouvaient, de la sorte, afficher une neutralité carbone arithmétique, tout en trompant potentiellement consommateurs et investisseurs. Une démarche pouvant mener à des poursuites et exposer à un risque réputationnel. Le greenwashing a mauvaise presse.
A l’inverse, Carlos Tavares, PDG de Stellantis, s’est déjà engagé à parvenir au « zéro net » en 2038 tout en limitant la compensation carbone à 10 %. Sans toutefois préciser comment il parviendrait à produire 50 % d’énergies renouvelables en 2025, donc à plus court terme. A voir si les normes ESRS, imposant aux entreprises de rendre des comptes chiffrés et réguliers, obligeront effectivement celles-ci à davantage de crédibilité quant à leurs engagements environnementaux.
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