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Recyclage, move to cloud, éco-conception : les leviers du numérique responsable

La question écologique s’insère dans tous les secteurs d’activité. Le numérique n’y échappe pas. D’autant que, si l’on n’y prête pas attention, il pourrait participer à précipiter la planète à sa fin. Pour l’éviter, le numérique responsable s’impose.


Par Lola Breton


© Image de Freepik


Le numérique représente aujourd’hui un peu moins 4 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Selon l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), le secteur et ses activités seraient également à l’origine de 2,5 % de l’empreinte carbone en France. Alors que les enjeux qui entourent le numérique sont voués à devenir de plus en plus prégnants, ses effets délétères le seront aussi. Pour tenter d’y pallier, la mise en place de stratégie de numérique responsable au sein des entreprises est précieuse. Si rien n’est fait pour réduire l’empreinte environnementale du numérique et que les usages continuent de progresser au rythme actuel, le trafic de données serait multiplié par six et le nombre d’équipements serait supérieur de près de 65 % en 2030 par rapport à 2020, notamment du fait de l’essor des objets connectés. Les émissions de GES du numérique pourraient augmenter de 60% d’ici à 2040 si n’est faire. Il en résulterait des augmentations, entre 2020 et 2030, de l’empreinte carbone du numérique en France d’environ 45 % ; de la consommation de ressources abiotiques (métaux et minéraux) de 14 % ; de la consommation électrique finale en phase d’usage de 5 %.


Poussés par la législation


Le numérique responsable dans son acception actuelle ne désigne donc pas uniquement les stratégies d’évitement des conséquences funestes pour le climat et l’environnement. On y trouve également un pilier sociétal et économique grandissant. La loi REEN (réduction de l'empreinte environnementale du numérique), applicable depuis juillet 2022, oblige les collectivités de plus de 50 000 habitants à définir une stratégie numérique responsable. Elles ont jusqu’au 1er janvier 2025 pour s’en charger. Côté entreprises aussi, les obligations se précisent. Pour le moment, « la plupart des entreprises ont une trajectoire de réduction des impacts environnementaux principalement en matière de réduction des impacts carbone, note Caroline Vateau, directrice Numérique Responsable chez Capgemini Invent. Mais moins de la moitié des équipes dirigeantes ont conscience des impacts environnementaux du numérique et peu ont actuellement mis en place des actions concrètes. » Pour « faire plus avec moins », les DSI font face à des enjeux énormes. « L’optimisation ne suffit pas. Il faut faire différemment : revoir la durée de vie des PC, voir les ressources informatiques comme des ressources précieuses – chaque gigaoctet consomme des ressources non renouvelables dans sa phase de fabrication – … » soutient-elle.

Le Green IT a trois visages, complémentaires. La loi REEN est également venue appuyer l’aspect Green IT 1.0. Ce principe de conception numérique responsable, c’est-à-dire d’équipements et d’appareils numériques pensés et construits avec sobriété pour qu’ils durent dans le temps, s’apprête à connaître une poussée en avant. A partir du 1er janvier 2024, les constructeurs se verront dans l’obligation d’indiquer un indice de durabilité sur leurs produits. Il viendra compléter ou remplacer l’indice de réparabilité existant. Cet indicateur permettra alors aux particuliers comme aux professionnels de mieux gérer leur parc informatique. Notamment lorsqu’il est temps de s’en séparer.


Trouver une seconde vie aux appareils


Aujourd’hui, l’enlèvement des déchets d’équipements électriques et électroniques est déjà une question centrale. L’éco-organisme agréé par l’Etat Ecologic France se charge, avec ses partenaires sur le terrain, de collecter et de traiter ces déchets particuliers. « Les enjeux autour de ces déchets sont liés aux piles, aux plastiques qui contiennent parfois des retardateurs de flamme bromés. Certains déchets posent également un problème à cause de leur rétro-éclairage de type mercure. Et il y a bien sûr des enjeux de matières avec des métaux dits précieux ou rares et qui demandent des traitements spécifiques », explique Bertrand Reygner, directeur technique de l’éco-organisme.

Mais se débarrasser d’un appareil que l’on n’utilise plus ne doit plus être la voie préférée des entreprises (comme des particuliers). « Ce sont les mentalités qui doivent changer », souligne Bertrand Reygner. Et ainsi faire accéder le réemploi – revente du matériel à un acteur qui le remet un peu en état avant de le revendre – et la réutilisation – sortie de certains composants à l’intérieur des appareils pour les réutiliser ailleurs – à un rang plus élevé. Evidemment, ces questions de réemploi et réutilisation soulèvent d’autres questionnements. S’ils permettent d’ajouter une dimension écologique et sociale à la prise en charge des déchets informatiques, ils doivent aussi être appréhendés avec prudence. « Il faut pouvoir prendre soin des données et les effacer avant d’envisager un quelconque réemploi, souligne le représentant d’Ecologic. Les entreprises cherchent donc des opérateurs de confiance. »

OVH Cloud réfléchit à une manière de gérer un déchet particulièrement difficile à recycler : les cartes mères. L’entreprise a signé un contrat avec une start-up nordiste pour parvenir, d’ici 2025, à mettre « zéro déchet en décharge », révèle Grégory Lebourg, directeur environnement dans l’entreprise.

La question de l’allongement de la durée de vie des équipements informatiques et des terminaux est vitale. « C’est là que la principale contribution à l’empreinte carbone de l'entreprise se situe. Il faut faire en sorte que les politiques des équipements informatiques durent plus longtemps que ce soit au niveau stratégique ou au niveau opérationnel. » souligne Stéphane Vanrechem, Senior Analyst chez Forrester. « La DINUM et l’Etat ont déclenché un mouvement de fonds qui sert à l’allongement de la vie des technologies. La prise de conscience est bien là et la sensibilisation est à l’oeuvre » souligne Cyrille Maltot, président de l’Alliance Green IT Québec.


Changer les mentalités


Les acteurs du cloud ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit de discuter de numérique responsable. Et pour cause. Le Green IT 1.5, aussi pensé comme « système d’information développement durable », consiste à rendre les systèmes moins polluants et énergivores. Pour cela, le mouvement vers le cloud est une étape importante. Une stratégie qui permet de réduire drastiquement l’effet individuel des entreprises sur les émissions. « Concentrer des serveurs au même endroit et à la verticale permet de limiter l’artificialisation des sols », explique Grégory Lebourg. Mais les data center qui tournent en permanence à un endroit donné produisent énormément de chaleur, qu’il faut réguler. Cela implique des techniques plus ou moins consommatrices en eau. Le choix de l’opérateur cloud vers lequel souhaitent se tourner les entreprises doit donc prendre ce point majeur en compte. C’est tout aussi important que de se pencher sur l’énergie utilisée dans les data center concernés et sa provenance. « Dans des pays comme la France, qui ont un mix énergétique équilibré, notamment avec l’utilisation du nucléaire qui émet très peu de carbone, on peut aller chercher l’énergie la plus décarbonée possible pour produire l’électricité qui alimente les data center », note le directeur environnement d’OVH Cloud. Autre piste : « Peut-être pourrions-nous imaginer que certains serveurs pourraient être éteint lorsqu’ils sont inutilisés. Leur consommation d’énergie baisserait sans pour autant entraver la sauvegarde des données. » ajoute Stéphane Vanrechem.

Dans toutes ses déclinaisons, le numérique responsable suppose une prise de conscience majeure des producteurs et utilisateurs de ressources numériques. C’est ainsi que la partie 2.0, le troisième pilier du Green IT, consiste à réduire l’empreinte économique, écologique et sociale d’un produit ou d’un service par le numérique. Avant d’en arriver là, il faut bien sûr former tout un chacun sur les effets du numérique sur l’environnement. L’entreprise de conseil en cybersécurité Conscio Technologies a depuis peu mis sur pied des modules de sensibilisation RSE autour du numérique responsable à destination de ses clients. L’idée sous-jacente : « À partir du moment où on est plus précautionneux sur l’usage du numérique on prend forcément moins de risques en termes de cybersécurité », souligne Michel Gérard, président de l’entreprise. Gestion des emails, bonnes habitudes à prendre pour améliorer la durée de vie du matériel informatique, mais aussi prise en compte des besoins en mobilité au sein de l’entreprise pour optimiser l’utilisation de l’énergie globale. Les utilisateurs finaux sont le cœur de cible de ces vidéos interactives. « Ces nouveaux modules adressent des sujets aussi divers que la gestion des emails, l'utilisation des terminaux ou encore le shadow IT. Nous sommes orientés vers l’utilisateur pour faire adhérer le plus grand nombre à l'essentiel. Les collaborateurs sont en attente des bons comportements à adopter et ont besoin d’être accompagnés, guidés dans leur démarche numériquement responsable. Pour cela, de courtes vidéos, interactives et engageantes, sont un excellent moyen de communication et de formation » poursuit Michel Gérard. Les programmes dans les écoles intègrent aussi désormais le numérique responsable. « Les futurs talents vont nous challenger. » souligne Cyrille Maltot.


Vive l’éco-conception


Dans un contexte compliqué où la tendance est à l'augmentation des appareils numériques toujours dotés de plus grande performance parallèlement à une volonté de réduire l'impact environnemental de ces outils, la tâche de la Direction interministérielle du numérique (DINUM) est ardue. « Depuis 2020, la mission interministérielle numérique éco responsable a pour objectif de réduire l’empreinte environnementale du numérique public. . Il faut également que nous ayons tous conscience de l'impact du numérique au niveau planétaire et des limites du numérique. Pour répondre à ces nouveaux enjeux, nous devons aller plus loin que l’optimisation et l'efficience, allons vers la sobriété ! L'éco-conception est fondamentale. Elle permettra de continuer à utiliser des appareils électroniques vieillissant et qui fonctionnent tout en ayant accès aux applications nécessaires. Ainsi, nous lutterons efficacement contre l'obsolescence » témoigne Richard Hanna, chargé de mission numérique responsable à la DINUM. 


Le pouvoir des normes


En 2021, l’organisme ISO a fait entrer le développement durable dans ses priorités. Tous les groupes de travail devaient alors intégrer ce dernier et la lutte contre le changement climatique au sein de leurs réflexions. L’AGIT Québec a proposé un groupe de travail pour la norme ISO 20 000. « Nous souhaitons que ce groupe de travail avance sur les questions de numérique responsable au plus haut niveau international. Le travail normatif est essentiel tant il contribue à mettre tous les Etats autour de la table, à travailler à la définition sémantique des termes, indispensable. Il permettra d’obtenir des moyens de contrôles et de respect des normes édictées. » conclut Cyrille Maltot et d’ajouter : « C’est un processus long mais nous avons d’ores et déjà parcouru un certain chemin. Je suis optimiste. »

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