Entre décarbonation et réindustrialisation, souveraineté et compétitivité, les « terres rares » sont à la croisée de nombreux enjeux. L’Europe et la France multiplient les initiatives pour sortir de leur dépendance à ces métaux stratégiques, indispensables à la production de composants électroniques et numériques qui sont au coeur des transitions numérique et écologique. Alors que l’ouverture de nouvelles mines fait débat et que le recours à des alternatives et technologies de rupture divise, la question de notre consommation et de nos besoins réels dans un contexte qui exige la sobriété se pose.

© Vlad Chețan
Dépendances stratégiques
« Les terres rares ne représentent que 17 éléments du tableau des éléments chimiques de Mendeleïev, soit une toute petite partie » rappelle Stephane Piednoir, Sénateur de Maine-et-Loire et président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Une toute petite partie pourtant essentielle à la fabrication tant des équipements numériques que des technologies bas carbone. « Nous entrons dans l’ère des métaux critiques, des minerais qui sont nécessaires pour faire face à la transition écologique, aux nouvelles technologies et aux nouvelles énergies (batteries, aimants, etc.). » note Catherine Lagneau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Et si les réserves mondiales s’élèvent aujourd’hui à 120 millions de tonnes, une quantité largement suffisante au regard de la production annuelle actuelle qui s’élève elle à 280 000 tonnes,¹ l’accélération des transition numériques et écologiques fera augmenter d’autant les besoins en terres rares : selon l’Agence internationale de l’énergie (AIA), il faudra multiplier par six ou sept la production de terres rares pour répondre à nos besoins d’ici 2040.² Si l’enjeu est si important, c’est aussi parce que 90% des réserves mondiales sont concentrées dans 4 pays : la Chine : 44 millions de tonnes, soit 37%, le Vietnam : 21,6 millions de tonnes (18), le Brésil : 20,4 millions de tonnes (17%) et la Russie : 20,4 millions de tonnes (17%). Quant à la production, elle repose principalement sur la Chine, avec 60% du marché mondial, très loin devant les Etats-Unis (15%), la Birmanie, l’Australie ou encore la Thaïlande. Un quasi-monopole que la Chine entretient à coup de main d’œuvre à bas coût ou d’entorses aux lois environnementales. « La Chine a sciemment réduit l’approvisionnement des marchés extérieurs au profit de ses propres besoins. Au passage cela a fait monter les prix. » rappelle aussi Stéphane Piednoir. Résultat : une dépendance stratégique pour l’Europe et pour la France qui multiplient les initiatives pour en sortir.
Ré-ouvrir des mines, une mauvaise bonne idée ?
Pour rester dans la course, les Etats-Unis ont réouvert la Mine de Mountain Pass en 2017. L’Australie peut elle désormais compter sur sa mine de Mount Weld. En Europe, où les gisements et capacités d’extraction et de raffinage sont moins nombreuses, le Critical Raw Material Act fixe à 15% l’objectif l’augmentation des capacités de recyclage des matériaux critiques, dont les terres rares. Aujourd’hui, seul 1% est recyclé en raison de la complexité des opérations de séparation des éléments. En France, quatre entreprises, Celimer, Poral, Ecm Technologies et REEfine technologies se sont ainsi alliées pour recycler les aimants permanents. Mais les objectifs européens semblent encore difficiles à atteindre, et ne parviendront pas à répondre à ces besoins croissants en terres rares. Des voix s’élèvent ainsi pour promouvoir la réouverture de mines et de filières de traitement des minerais « […] il existe des ressources présentes en Europe qui sont des éléments de souveraineté. Cela représente un potentiel de développement industriel et d’emplois dans les territoires qui va assurer aux industries françaises et européennes un approvisionnement dans ces matières premières. Il convient de marcher sur les deux jambes : trouver de nouvelles ressources dans le sol et développer parallèlement des stratégies d’économie circulaire. » commente Nicolas Defrenne, directeur général de Soren, l’éco-organisme français pour le recyclage des modules photovoltaïques. Le Critical Raw Material Act fixe ainsi au vieux Continent des objectifs ambitieux : miner 10% de ses besoins sur son territoire (0% aujourd’hui), raffiner 40% des terres rares qu’elle consomme (1% actuellement). En 2023, la découverte du plus gros gisement de terre rares en Europe à Kiruna (Suède) avec 1,3 million de tonnes estimées, soit 1% des réserves mondiales, donne un peu d’espoir pour les capacités d’extraction européennes. En matière de raffinage, une usine est déjà opérationnelle en Estonie et le groupe Solvay envisage de rouvrir la division de raffinage des terres rares dans l’usine Rhône-Poulenc de La Rochelle. Une opération qui ne pourra cependant pas voir le jour sans investissement public et sans ressources qualifiées, aujourd’hui pénuriques.³ « Il faut s’entendre sur ce que nous voulons extraire en sachant que nous ne serons jamais souverains. » ajoute Catherine Lagneau et de poursuivre : « Pour ouvrir une mine il faut 15 ans. Selon moi, la principale limite est donc moins celle de la quantité de ressources mais dans la cinétique des projets miniers en cours. »
La solution passera par la sobriété
La réouverture de mines et d’infrastructures de traitement des minerais extraits est aussi un enjeu environnemental : une mine « repose sur une industrie de transformation, production de déchets, pollution des eaux. Nombre d’associations que je représente travaillent encore à lutter contre les pollutions minières du passif minier français. L’État et le BRGM dépensent des millions pour gérer le stockage de millions de tonnes de déchets issus des anciennes exploitations. » souligne Antoine Gatet, président de la fédération France Nature Environnement, et de poursuivre : « Je ne dis pas qu’il ne faut pas ouvrir de nouvelles mines. Mais si nous restons sur les mêmes trajectoires cela ne peut pas fonctionner. » France Nature Environnement note ainsi le 4 octobre que « le débat public sur le projet Emili [de réouverture de mines de lithium en France, NDLR], comme expliqué par la CNDP (Commission nationale du débat public) a soulevé une demande commune de prises de décision collective sur ce sujet fortement marqué par le passif minier de la France, et source d’oppositions et de tensions. »⁴ Mathias Bourrissoux, président de ce débat, soulevait lui que la présentation d’une stratégie minière de l’État a fait « cruellement défaut » dans le débat sur l’ouverture de cette mine.⁵ Une volonté de concertation partagée par l’institut Jacques-Delors qui estime nécessaire de « renforcer le débat démocratique et la transparence tout comme les processus démocratiques sur les questions minières »⁶ et appelle à rendre « obligatoire »⁷ la saisie de la CNDP, pour chaque nouveau projet minier.
Car notre plus grande dépendance est sans doute finalement d’abord à l’égard de notre consommation : « Nous avons multiplié par trois notre consommation de ressources naturelles en 50 ans au niveau mondial. Un milliard des personnes les plus riches consomment 70 % des matériaux à l’échelle mondiale. L’Union européenne, qui représente 6 % de la population mondiale consomme entre 25 et 30 % des métaux et une augmentation de + 63 % est prévue d’ici 2060. En Europe, nous consommons deux fois trop de métaux eu égard aux limites planétaires. Si toutes les voitures étaient électriques, nos réserves en cobalt seraient de six années et de 22 ans en lithium. » alerte Antoine Gatet et d’ajouter : « Il faut commencer par des choix de réduction de consommation et à réfléchir à quoi seront utilisés ces métaux dans les politiques et dans la transition écologique. ». C’est aussi d’approche et de paradigme qu’il faudra changer : « Il faut passer à une logique de sobriété » souligne Nicolas Defrenne, Cela passe par l’éco-conception. Celle-ci peut être guidée par le marché mais aussi par des obligations réglementaires. Par exemple, interdire de marché des produits qui ne respectent pas des normes environnementales et de sobriété matières relève de l’échelon européen. » et de poursuivre « Nous avons été capables de décorréler la croissance économique de celle des émissions de gaz en Europe. Le prochain challenge est de décorréler la croissance économique de la consommation et de l’usage de matières. »
³https://www.taurillon.org/terres-rares-et-metaux-strategiques-bientot-des-nouvelles-mines-en-europe
⁷Ibid
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