Transition énergétique : l’État doit donner un cap !
- camilleleveille8
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Alors que la France dispose d’atouts industriels solides, d’un tissu d’acteurs mobilisés et de technologies pleinement matures, la réussite de la transition énergétique dépendra désormais de la capacité de l’État à fixer un cadre lisible et durable. La publication rapide de la PPE, attendue de toutes parts, conditionne la stabilité réglementaire, la confiance des investisseurs et la cohérence d’ensemble de la stratégie nationale. Faute de cap, le pays risque de compromettre sa souveraineté énergétique et d’accuser un retard sur les objectifs 2050 irrécupérable…

Une transition affichée comme prioritaire… mais difficile à mettre en oeuvre
Si la transition énergétique figure comme une “priorité absolue” du le Premier ministre, force est de constater qu’aujourd’hui le temps politique est bloqué. La pierre angulaire de la politique énergétique — la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) — n’est toujours pas publiée. Elle doit permettre de donner une trajectoire claire pour les dix prochaines années, permettant notamment aux investisseurs de se positionner sur des technologies plus porteuses que d’autres. Un brouillard qui dure depuis plusieurs mois maintenant. Pourtant, le document est prêt, à “98 %” selon Agnès Pannier-Runacher, ancienne ministre de la Transition Écologique, aujourd’hui députée. « Cette programmation pluriannuelle de l’énergie est écrite. Elle est prête. Il y a peut-être 3–4 choses à changer mais elles sont microscopiques. Ce qui est important, c’est aujourd’hui de la mettre en œuvre et avec un objectif : faire baisser la facture pour les ménages. Parce qu’aujourd’hui, faute de cap, faute de visibilité, les investisseurs ont soulevé le crayon. De fait, on n’avance pas, pas plus sur le nucléaire qu’on avance sur le renouvelable. » déplore-t-elle. « La PPE est aboutie, elle doit permettre d'avoir une visibilité sur notre production et notre consommation. Mais il manque un consensus politique. Nous savons que tous les acteurs du terrain l’attendent pleinement. » abonde Olga Givernet, ancienne ministre de l’Energie, aujourd’hui députée. Collectivités, énergéticiens, industriels, investisseurs : tous continuent pourtant d’avancer — à l’aveugle — dans un contexte budgétaire déjà contraint… mais pour combien de temps encore ?
L’urgence de la transition énergétique
Longtemps perçue comme un enjeu environnemental, la transition énergétique est désormais un impératif stratégique. La guerre en Ukraine, l’instabilité des marchés, la dépendance aux pays producteurs et l’explosion des coûts ont rappelé que la question énergétique était aussi un sujet de souveraineté. Selon la Direction générale de l’énergie et du climat, le coût net total des différents dispositifs d’aide pour pallier la crise énergétique de 2022 a atteint 33 milliards d’euros. Et rien ne garantit que ces crises ne se reproduiront pas tant que l’Europe restera dépendante des importations d’énergies fossiles qu’elle ne maîtrise pas. « Le contexte géopolitique est extrêmement dégradé. On voit que l’Europe risque la marginalisation et la fragmentation. Au niveau européen, pour sortir de notre dépendance au gaz russe, nous avons payé 600 milliards d’euros de plus pour le même gaz simplement pour diversifier nos approvisionnements, auxquels s’ajoutent 650 milliards d’euros de soutien aux ménages et industries. On ne pourra jamais refaire ça. Notre dépendance aux énergies fossiles importées nous a coûté extrêmement cher et nous coûtera toujours plus si nous n’arrivons pas à réaliser cette transition, car l’Europe reste un continent pauvre en énergies fossiles », souligne Diana Gherasim chercheuse, responsable des politiques européennes de l'énergie et du climat, Centre Énergie et Climat de l'Ifri et d’ajouter : « Dans le même temps, la Chine maîtrise toute la chaîne des métaux critiques. De leur côté, les États-Unis mènent leur propre politique industrielle. L’Union européenne doit devenir maîtresse d’elle-même. Mais cela ne peut pas se faire sans l’énergie. La transition énergétique est absolument essentielle pour notre souveraineté. Il faut électrifier, développer les réseaux, renforcer la flexibilité et sécuriser les chaînes de valeur, sinon nous serons toujours dépendants de puissances étrangères qui ne partagent pas nos intérêts. » Il est temps d'opérer une bascule pour sortir de la dépendance aux énergies de certains acteurs. « Le vrai sujet n’est pas d’opposer nucléaire et ENR : c’est de stimuler la demande électrique pour sortir enfin des 60 % d’énergies fossiles dont nous restons dépendants. Nous produisons beaucoup, nous exportons même massivement ; l’enjeu, désormais, est d’accompagner nos concitoyens dans la bascule vers des usages électriques décarbonés. » analyse Anthony Cellier, commissaire à la Commission de régulation de l’énergie.
Les filières sont prêtes
Et pourtant. La France dispose d'atouts indéniables pour mener à bien cette transition énergétique. Les industriels présents de la filière de l’éolien, du gaz renouvelable, des réseaux, chaleur sont unanimes : les outils existent, les technologies sont éprouvées, les projets sont prêts, les investissements mobilisables. « Cela fait quasiment 20 ans que l'on est sur le marché français. Les premiers appels d’offres ont été un énorme succès : plusieurs dizaines de milliers d’emplois créés. Nous avons les technologies, les usines, les compétences. Et pourtant, aujourd’hui, nous sommes immobiles. Le problème, c’est que les ambitions ne sont pas mises en œuvre. Nous avons plus de 800 jours d’attente pour la PPE. Sans PPE, il n’y a pas d’appels d’offres. Sans appels d'offres, il n’y a pas de projets. Et sans projets, il n’y a pas d’emplois. Entre 2014 et 2024, nous n’avons eu qu’un seul appel d’offres. Pendant que la Chine met en service 17 gigawatts par an, nous attendons des documents administratifs. Nous avons les solutions. Mais tant qu’il n’y aura pas de stabilité, de visibilité et de décisions concrètes, nous n’arriverons à rien. » témoigne Guillain Chapelon, directeur général de Skyborn Renewables France. Même constat dans les gaz renouvelables. La filière a dépassé les objectifs posés par la dernière PPE, les collectivités se mobilisent, les agriculteurs investissent. Mais tout est suspendu à la publication de la PPE. « Nous avons les possibilités, les outils, les technologies et les scénarios pour réussir. Les collectivités avancent, les agriculteurs avancent, les territoires progressent. (…) Les trajectoires existent : 50 TWh en 2030, 60 TWh possibles, 120 TWh en 2035. Les technologies existent : méthanisation, pyrogazéification, gazéification hydrothermalisme. Les mécanismes existent également. Tout cela est prêt. Ce qui bloque, ce n’est pas la technique, ce n’est pas la filière, ce n’est pas l’investissement privé. Ce qui bloque, c’est l’absence de validation politique de la PPE. » partage Jean-Charles Colas-Roy, président de Coénove. Faute de politique claire, le delta entre la transition amorcée par les entreprises et la réalité de la consommation des ménages est encore trop important. En témoigne l'exemple de Total Energies : « Nous produisons de l'électricité bas carbone : 2 gigawatts aujourd’hui, 4 en 2030, 6 en 2032. Nous investissons, nous accélérons, nous diversifions. Les capacités sont là, les projets sont prêts. Mais la demande ne suit pas. Nous parlons sans cesse d’électrification des usages, mais dans les faits 12 millions de foyers se chauffent encore au gaz, 3 millions au fioul, et 95 % des véhicules roulent encore au carburant. La question est aujourd'hui la suivante : quelle politique pour inciter à basculer vers du bas carbone ? » interroge Isabelle Patrier, directrice France de Total Energies. D'autant que les enjeux liés à la transition énergétiques impliquent également d'autres secteurs qui pourraient incorporés ces énergies vertes. « Le développement de nouvelles filières est déjà en marche, notamment les carburants de synthèse, avec des enjeux considérables pour l’aviation qui vise plus de 70 % d’incorporation de e-SAF à l’horizon 2050. Mais la problématique est bien plus large : l’industrie et même la défense s’intéressent désormais de très près à l’hydrogène et aux infrastructures associées. À Bruxelles, au sein de l’association européenne des opérateurs d’infrastructures hydrogène, nous voyons l’OTAN et les grands acteurs industriels venir s’enquérir de l’évolution de la filière, des capacités de production de biocarburants et de carburants de synthèse. Cela montre à quel point ces sujets dépassent largement notre seul secteur : l’hydrogène et le CO₂ auront un rôle central dans la transition énergétique de demain. » rappelle Youssef Chekli, responsable du département Relations institutionnelles et Régulation des nouveaux actifs de Teréga.
La France dispose des technologies, des compétences et des acteurs capables d’accélérer immédiatement la transition énergétique. Mais pour transformer ce potentiel en réalité, il faudra revenir à l’essentiel : une décision politique claire et un calendrier stable.




