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Travail des enfants : une lutte plus que jamais nécessaire

La lutte mondiale contre le travail des enfants est au point mort depuis 2016. C’est le constat édifiant fait par l’UNICEF.¹

 Dans le monde, 160 millions d’enfants sont astreints au travail. Parmi eux, 79 millions effectuent des travaux dangereux. Il s’agit d’un problème persistant dans le monde aujourd’hui et la situation à l’échelle mondiale occulte les progrès réels accomplis pour éliminer le travail des enfants en Asie-Pacifique, Amérique latine et dans les Caraïbes. Si le combat ne faiblit pas, de nouvelles mesures et des investissements ambitieux s’imposent. 

 

Par Alban Wilfert et Mélanie Bénard-Crozat 


 

Une hausse accidentelle ou symptomatique ? 


Le pourcentage des enfants astreints au travail baisse en de nombreux endroits, tandis que l’Afrique subsaharienne en regroupe plus que toutes les autres régions du monde. En 2020, elle comptait 16,6 millions de travailleurs enfants de plus qu’en 2016, passant de 22,4% à 23,9% des enfants. 40000 enfants travaillent dans les mines de cobalt de la République démocratique du Congo.² Au Bénin, un enfant sur deux travaille, et quatre sur dix le font dans des conditions dangereuses.³

En Amérique latine et dans les Caraïbes, les chiffres baissent, passant de 7,3% à 6% en 2020, une tendance similaire à l’Asie-Pacifique. A l’inverse, l’Europe et l’Asie centrale passent de 4,1% à 5,7%. L’Italie comptait, en 2023, 336000 enfants au travail, un chiffre proche de celui de 2013.⁴ « La hausse importante en Afrique subsaharienne s’explique par plusieurs facteurs structurels. Cette région reste largement rurale et le travail infantile est majoritairement agricole, et au niveau mondial, plus de 70 % de tous les enfants qui travaillent se trouvent dans l’agriculture. La démographie subsaharienne façonne également une population jeune, avec bien plus d’enfants qu’ailleurs, ce qui contribue à l’augmentation arithmétique. La pauvreté, facteur du travail infantile, y est très forte, et la protection sociale très faible. La scolarisation des enfants peut représenter un manque à gagner pour les familles d’agriculteurs et un investissement financier perçu comme non rentable. Sans oublier l’importance de l’économie informelle et la vulnérabilité  aux catastrophes naturelles. », analyse Stephen Blight, conseiller à la protection de l’enfance à l’UNICEF. 

Les garçons restent majoritaires, représentant 97 millions de ces travailleurs. Leur nombre augmente, quand celui des filles baisse. 79 millions effectuent des travaux dangereux, en hausse de 6,5 millions. Les chocs économiques et les fermetures d’écoles provoquées par la Covid-19 menacent d’éroder encore les progrès réalisés dans la lutte contre le travail des enfants. Toutefois, « à ce jour, nos données ne permettent pas de jauger ce qui relève ou non de la pandémie, dont les effets ne pourront être analysés que dans le prochain rapport » précise Stephen Blight. Selon Benjamin Smith, Senior Officer  sur les questions de travail infantile au sein de l’Organisation internationale du Travail (OIT), cette hausse n’est « pas accidentelle, mais liée à la persistance de ces causes : inégalités, structures éducatives insuffisantes et faible protection des enfants. Néanmoins, le niveau atteint en 2016 n’est pas un plafond : au vu des progrès accomplis précédemment, il est possible de réduire à nouveau le travail infantile, si la volonté politique et les investissements sont suffisants. » 

 

Briser le cercle vicieux 

Le travail infantile perdure malgré la signature par 163 Etats de la convention de l’OIT luttant contre cette pratique. « Souvent, les employeurs d’enfants ne sont pas sans scrupules, mais dépendants fonctionnellement, par incapacité à salarier des adultes ou parce qu’il s’agit d’entreprises informelles. Il faut alors renforcer la loi et l’inspection du travail mais aussi accompagner ces entreprises vers la formalisation et une production respectueuse des droits humains. De même, certaines multinationales ignorent que leurs chaînes d’approvisionnement reposent sur le travail infantile, et font des efforts pour l’empêcher une fois qu’elles l’apprennent », précise Benjamin Smith. En Asie du Sud-Est, il n'est pas rare que des migrants travaillant dans des usines et dormant dans des tentes à proximité, ne puissent pas scolariser leurs enfants. Ils les amènent au travail avec eux. L’UNICEF accompagne alors ces entreprises pour qu’elles remplissent leurs responsabilités vis-à-vis des salariés dès la signature du contrat. En Jordanie, « nous mettons en place des services d’accompagnement et de protection de l’enfance pour prévenir et répondre au travail infantile, auprès des populations réfugiées et des communautés d’accueil. En partenariat avec des associations locales, nous travaillons auprès des enfants les plus à risque (soutien psychosocial, orientation vers des services spécialisés, éducation informelle...) et sensibilisons les parents et communautés sur le travail des enfants tout en favorisant l’inclusion économique sociale » explique Lucie Dechifre, directrice des programmes de l’ONG Plan International France. 

Des tiers qui jouent un rôle clé comme la fondation Odijo, fondée à Nairobi par un enseignant qui a ouvert un orphelinat, une librairie pour l’aide aux devoirs et un camp de vacances pour les enfants des rues. 

 

Un autre choix pour les familles 

Si des familles font travailler leurs enfants, la cause est généralement due à leurs revenus qui ne leur laissent pas le choix. Une dépendance à laquelle il est nécessaire de remédier en améliorant les revenus des adultes et la protection sociale. Tel est l’esprit de politiques publiques d’allocations conditionnées à la scolarisation. Le programme Bolsa Familia, largement développé par le président Lula dans les années 2000 et relancé à son retour au pouvoir, semble avoir joué un rôle majeur dans la réduction de 50%, entre 1992 et 2008, du nombre d’enfants contraints de travailler au Brésil.⁵ Tout comme le programme Oportunidades au Mexique. « Conditionnée ou non, la protection sociale est capitale dans la lutte multidimensionnelle contre le phénomène, comme celle menée au Brésil », estime Lucie Dechifre. « Cela vaut aussi pour le Mexique et dans des pays d’Afrique et d’Asie. A cela doit s’ajouter l’extension de l’accès au crédit et à l’éducation, des politiques visant à la diversification économique sont bonnes pour la résilience des familles, qui sollicitent moins leurs enfants » souligne Benjamin Smith et d’ajouter : « A l’OIT, des inspecteurs du travail mobiles vont sur les lieux où le travail infantile est repéré et développent des comités locaux rassemblant parents, professeurs et notables. Ils identifient les enfants, les mettent en relation avec les services compétents et établissent un suivi pour s’assurer qu’ils ne retournent pas au travail. » Une démarche prometteuse puisque, en juillet 2021 en Côte d’Ivoire, 54% des 16000 enfants identifiés comme effectuant des tâches dangereuses déclaraient par la suite ne plus avoir à les accomplir.⁶ En Tanzanie, le travail des enfants dans les mines et le secteur de la pêche est passé de 15% à 2% grâce à Plan International dans la région de Geita. « Nous avons accompagné pendant dix ans des initiatives d‘autonomisation économique des familles, favorisé la rescolarisation des enfants, renforcé les mécanismes de protection et d’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, développé la formation professionnelle et créé des systèmes villageois d’épargne et de crédit permettant aux familles de générer des revenus et de ne pas avoir recours au travail des enfants », explique Lucie Dechifre.  

Pour aller plus loin, les gouvernements devront adopter des stratégies de mobilisation des ressources novatrices pour élargir leur espace budgétaire. « De nombreux pays industrialisés manquent toujours aux engagements pris il y a longtemps en matière d’aide publique au développement (APD) et de financement du développement durable. Il faut que cela change. » déclare l’UNICEF. L’importance de la coopération internationale et des partenariats face aux grands défis mondiaux est indéniable. « L’élimination du travail des enfants est un défi impossible à relever en faisant cavalier seul. » rappelle l’institution. Pour l’heure, il est urgent de relancer la lutte contre le travail des enfants car la cible 8.7 des Objectifs de Développement Durable qui appelait d’ici à 2025, à mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes est loin d’être atteinte. « Des mesures et des investissements ambitieux s’imposent. Nous avons promis aux enfants de mettre fin à ce fléau. Il n’y a pas de temps à perdre. » clame l’UNICEF. 



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