Bipolaire et aventurière : Léa Vigier casse les codes
- camilleleveille8
- 18 sept.
- 5 min de lecture
En France, près de 60 % des personnes bipolaires sont d’abord diagnostiquées à tort comme dépressives, avec un délai moyen de dix ans avant le bon diagnostic. Après avoir traversé cette errance médicale, Léa Vigier a appris à comprendre et gérer sa maladie. Aventurière dans l'âme, elle multiplie les défis et actions de sensibilisation pour mieux informer le public sur la bipolarité et briser les préjugés.

L’errance médicale
Maladie psychique chronique responsable de dérèglements de l’humeur avec le plus souvent une alternance d’états d’exaltation et de dépression, le trouble bipolaire reste largement méconnu en France. Et ce, même par les médecins. La maladie se manifeste souvent entre les dernières années d'adolescence et les premières de l'âge adulte, phase de maturation du cerveau. Récemment, Nicolas Demorand animateur phare de la Matinale de France Inter a révélé être bipolaire. Tout comme Léa Vigier il a connu les longues années d'errance médicale, des années durant lesquelles il ne pouvaient mettre de mots sur sa maladie... Le trouble bipolaire se caractérise par des phases d’humeur extrême, oscillant entre des épisodes maniaques marqués par une énergie débordante, une euphorie parfois dangereuse et des comportements à risque, et des épisodes dépressifs profonds où dominent tristesse, perte d’intérêt et idées suicidaires. Ces variations, qui peuvent durer plusieurs semaines ou mois, bouleversent la vie quotidienne. « J’ai d’abord été suivie par un psychiatre qui m’a diagnostiquée dépressive, car il ne voyait pas mes phases où j'allais trop bien », raconte Léa Vigier. Un cas loin d’être isolé : près de 60 % des personnes bipolaires sont d’abord diagnostiquées à tort comme dépressives. La raison ? La bipolarité reste peu enseignée durant les études de psychiatrie et ses différentes formes sont mal connues. Dans les phases “up”, la maladie est d’autant plus difficile à repérer : « On se voit comme la meilleure version de soi-même ; on ne consulte plus, et le psychiatre ne voit donc pas ces épisodes », explique-t-elle. Résultat : le délai moyen de diagnostic est de dix ans. Après des années d’errance, Léa Vigier a eu du mal à accepter son diagnostic : « Quand j’ai entendu cette hypothèse, j’ai immédiatement fermé les yeux. La honte et le stigmate autour de cette maladie sont tellement forts qu’on préfère ne pas creuser, de peur de découvrir qu’on l’est. Les malades ferment les yeux, mais les proches aussi : quand on a évoqué pour la première fois que je pouvais être bipolaire, ma mère a refusé d’y croire. Pour elle, cela revenait à dire que sa fille était “malade mentale”, et elle s’imaginait aussitôt le pire. Il y a une vraie méconnaissance de la bipolarité alors même que cela représente 3 % de la population française soit un peu moins de 2 millions de personnes. » rappelle la jeune femme.
Transformer la maladie en moteur d’action
Après avoir été officiellement diagnostiquée par une psychiatre et avoir commencé son traitement, une nouvelle vie commence pour Léa. « Progressivement, grâce à ma psychiatre et à la psychoéducation, que j’ai beaucoup suivie avec l’association HopeStage, pour laquelle je collecte aussi des fonds, j’ai appris à comprendre la maladie et à mettre en place des outils concrets pour prendre soin de moi. Cela me permet de rester stable, peu importe où je suis », explique-t-elle et de poursuivre : « Ce n’est pas toujours simple, car j’ai tendance à me placer dans des situations de chaos ». Et pour cause : Léa Vigier a décidé que sa maladie ne l'empêcherait pas de faire vivre l’aventurière qui sommeillait en elle. Depuis quelques années, la jeune femme enchaine les défis : faire le tour de l’Europe avec 1 euro en poche ou encore gravir le pic Lénine, sommet de 7 134 m au Kirghizistan. L’été dernier, elle s’est lancée pour défi de réaliser un tour de France pour sensibiliser la population à cette maladie méconnue. Comment ? Avec une pancarte “Jsuis bipolaire, tu m’invites ?” Cette aventure l’a profondément marquée. « C’était le défi le plus difficile de ma vie, parce qu’il était très personnel. Même si j’ai avancé sur la honte que je pouvais ressentir, quand des inconnus arrivent avec leurs mauvaises images de la maladie, ça me touche directement. Ce n’est pas juste une pancarte : elle dit la vérité sur moi. Oui, je suis bipolaire. Alors quand, dès le premier jour, un homme est venu me dire : “Jette ta pancarte, personne ne veut d’un bipolaire dans sa voiture ou dans sa vie”, je l’ai pris forcément très personnellement ». Loin de se laisser abattre Léa Vigier a persévéré et grâce à sa patience et son abnégation elle a pu réaliser de magnifiques rencontres. « Les gens sont profondément ouverts et généreux. On entend souvent dire que notre société est individualiste, que chacun ne pense qu’à soi : c’est faux. En réalité, le vrai problème, c’est le manque d’informations sur les maladies mentales. En France, la plupart des personnes ont une image erronée de la bipolarité, qui génère de la méfiance. »
Vers une meilleure compréhension de la bipolarité
La sensibilisation est clé pour pouvoir mieux comprendre la bipolarité, l’accepter mais aussi intégrer pleinement les personnes malades dans la société. « Il faudrait que tous les lycéens puissent bénéficier d’interventions pour expliquer ce que sont réellement les maladies mentales et les troubles psychiques. La bipolarité, par exemple, est une maladie biologique liée à un dérèglement des hormones et des neurotransmetteurs : à certains moments, le corps sécrète trop, à d’autres plus rien, ce qui entraîne soit une surtension, soit un épuisement total. On n’y peut rien, et c’est essentiel d’insister sur cet aspect déculpabilisant » observe Léa Vigier et de poursuivre : « Ce qui me paraît tout aussi important, c’est de donner aux jeunes des clés concrètes pour développer une véritable hygiène émotionnelle, au même titre que l’hygiène physique. On se lave, on se brosse les dents, on fait attention à ce que l’on mange ; il faudrait aussi apprendre à prendre soin de son équilibre émotionnel avec des outils précis. D’autant que chacun a un seuil de résistance au stress différent : le dépasser à répétition peut mener à des troubles psychiques ». Le spectre neuroatypique est large, les troubles sont nombreux : hypersensibilité, troubles du traitement sensoriel, trouble du spectre autistique, schizophrénie, TOC, trouble bordeline... et de nombreux autre encore. Tous ces troubles doivent aujourd'hui être visibilisés pour être mieux compris par la société toute entière.
Pour les personnes qui auraient reçu un diagnostic récemment et qui se sentiraient perdus, Léa Vigier à un message : « Accepter sa maladie, c’est déjà faire 50 % du chemin vers le rétablissement. Mais accepter ne veut pas dire se laisser définir. Dire “je suis bipolaire” ne résume pas qui je suis : j’ai mille autres facettes. Ce qui est difficile, c’est que beaucoup de gens refusent d’accepter leurs troubles, parce qu’ils ne veulent pas être réduits à une étiquette. Pourtant, accepter ses vulnérabilités, c’est justement ce qui permet de les transcender. Dans mon cas, j’ai appris à gérer ma bipolarité tout en cultivant d’autres dimensions de ma vie, comme l’aventure, le bonheur ou la réalisation de mes rêves. C’est en acceptant cette part de moi que j’ai pu dépasser les contraintes que je croyais insurmontables. »
Se transcender, Léa Vigier compte bien continuer à le faire. Elle a pour projet de gravir l’Ama Dablam, « la plus belle montagne du monde » et souhaite continuer à sensibiliser le plus grand nombre aux différentes maladies mentales. Parler ouvertement des troubles psychiques et briser les préjugés, c’est offrir à chacun la possibilité d’accepter ses vulnérabilités et de les dépasser… A chacun d’avoir sa place dans notre société.
Pour en savoir plus sur HopeStage : https://www.hopestage.com/




